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Publié par Delphine E. Fouda

Le Messager, 23/06/2008. Le mensonge a de courtes jambes, constate une sagesse de chez nous. Ainsi en est-il de tous ces mensonges érigés en vérités officielles autour de l’affaire Bakassi jusqu'à nos jours :
• En décembre 1993, commence à Bakassi l’invasion nigériane ; Le Messager s’apprête à “ balancer ” l’information lorsque dame censure, alors préalable, “ sucre ” le scoop. Le journal revient plusieurs fois à la charge. Le gouvernement se croit alors obligé de réagir. D’abord pour démentir l’information en attribuant la “ rumeur ” à nos “ feuilles de choux en mal de sensationnalisme ”. Une semaine après cette sortie d’Augustin Kontchou Kouomegni alors ministre de la Communication, porte-parole du gouvernement, c’est au tour d’Edouard Akame Mfoumou, ministre délégué en charge de la Défense à l’époque, de monter au créneau pour reconnaître implicitement la présence nigériane dans la presqu’île camerounaise, prétextant cependant qu’il s’agit non d’une occupation, mais de manœuvres militaires de routine entre les deux armées camerounaise et nigériane.
• Début janvier 1994, le général Pierre Semengue fait arrêter une centaine de jeunes gens dans le Sud-Ouest et les emprisonne dans les locaux de l’antenne Cener de Kondengui, puis constitue un commando de 13 personnes composé de militaires, policiers et gendarmes ; ce commando a pour mission de cacher des armes dans les domiciles de certains leaders politiques et d’opinion, lesquelles armes devaient être “ découvertes ” plus tard et présentées à la télévision le 31 janvier 1994, en même temps que les jeunes arrêtés. Le scénario consistait à faire croire à l’opinion nationale et internationale que l’opposition, appuyée par des leaders d’opinion et des puissances étrangères, avait organisé à Bakassi un camp d’entraînement de jeunes mercenaires pour renverser le régime de Biya. L’affaire foira proprement parce que Le Messager, dont le directeur comptait parmi les personnalités visées, s’était mis sur la trace du commando qu’il dénonça au fil des éditions…
• Il fallut qu’en février 1994 l’armée camerounaise subisse un sérieux revers (100 morts) au cours d’une attaque d’envergure, pour qu’enfin le gouvernement camerounais reconnaisse publiquement, par un communiqué signé de Joseph Owona alors secrétaire général de la présidence de la République, qu’il y a de sérieux problèmes à Bakassi.

Rattrapés, ces mensonges et tous les autres qui ont suivi ! Rattrapés par des réalités plutôt dures et cruelles qui, depuis quatorze années, endeuillent des familles et coûtent bien cher au contribuable camerounais. Des réalités que le laxisme ambiant et l’absence de diplomatie érigés ici en modes de gestion de conflits ont laissé prospérer depuis lors. Il faut bien reconnaître, en effet, que dans l’affaire Bakassi, le gouvernement camerounais n’a pas toujours réagi promptement, même lorsque la situation au front le commandait. Par exemple, une offensive diplomatique en direction du Nigeria et de quelques autres pays voisins aurait certainement limité l’invasion nigériane dans l’espace et dans le temps. Au lieu de quoi le gouvernement a brillé par sa diplomatie d’absence, laissant à l’ennemi les initiatives de rencontres : ballet d’émissaires et envoyés spéciaux d’Abuja à Yaoundé et dans d’autres capitales africaines dès le début du conflit, ce qui contribua à semer le doute dans les esprits, avec un impact psychologique de taille sur l’opinion par rapport à l’occupation dont il était accusé, le temps pour ses troupes de consolider ses positions sur le terrain.
Bien plus, tous les chefs d’Etat qui se sont succédé au pouvoir au Nigeria, à une exception près (Sani Abacha), ont effectué au moins une visite officielle au Cameroun au cours de leurs mandats. Au contraire de Paul Biya qui, en 26 ans de règne, a à peine effectué une visite d’Etat à Lagos ou à Abuja. Le comble, c’est lorsque le Nigeria trouva en la Guinée Equatoriale de Teodoro Obiang Nguema Mbazogo, un allié de taille contre le Cameroun dans l’affaire Bakassi, alors que le Cameroun, par une simple diplomatie de courtoisie, avait en ce pays un allié naturel, à la faveur de sa position géolinguistique (Biya et Obiang se parlent généralement en fang, une langue commune à des populations du sud-Cameroun, de la Guinée Equatoriale et du Gabon).
Au plan interne, la gestion de ce conflit a été et demeure marquée par le laxisme ambiant qui règne au sommet de l’Etat, entraînant ainsi celui des chefs militaires en charge du dossier, leur affairisme débordant, les détournements de fonds destinées à l’entretien des troupes au front, le manque criard d’équipements militaires appropriés, etc. Les reportages de notre envoyé spécial dans la région la semaine dernière, ainsi que des témoignages recueillis prouvent qu’il aura fallu à nos forces armées un sens élevé de patriotisme pour vaincre la faim et la misère dans lesquelles ils étaient abandonnés, pour résister quatorze années durant et empêcher ainsi une progression de l’ennemi.
L’attaque du 9 juin dernier, qui a coûté la vie à des Camerounais dont le représentant du chef de l’Etat en la personne du sous-préfet de Kombo a Bedimo, confirme tout simplement ce laxisme. Nous apprenons d’ailleurs que la plupart des postes de combat camerounais avaient déjà été levées alors que c’est seulement en août prochain que le Cameroun pourra exercer sa totale souveraineté administrative sur cette partie du territoire national. Nous apprenons aussi que les déplacements de soldats et d’officiels camerounais se font à bord de pirogues nigérianes avec des pilotes nigérians, lesquels sont susceptibles de composer avec l’ennemi ; qui nous dit que tel n’était pas le cas avec la délégation du sous-préfet assassiné ? Comment comprendre même qu’une telle attaque ait pu être possible dans une zone qui sort de quatorze années de guerre meurtrière, et donc où la vigilance aurait dû être de rigueur, surtout après le retrait forcé de l’ennemi ? Il est tout de même curieux que malgré les tueries de novembre 2007 et l’annonce du renforcement des dispositifs sécuritaires, l’on prenne encore au dépourvu soldats et administratifs camerounais.
La gestion calamiteuse de l’affaire Bakassi depuis son déclenchement en décembre 1993 nous renvoie de nos dirigeants et autres chefs militaires l’image de passagers en transit dans l’aéroport Cameroun. Sinon comment expliquer leur inertie face à cette situation et à bien d’autres qui mettent le Cameroun en péril ? Cela me rappelle un article de Jeune Afrique : en 1997, je suis arrêté et jeté en prison pour avoir révélé un malaise cardiaque dont Paul Biya fut victime alors qu’il présidait la finale de la coupe du Cameroun de football. Dans la recherche d’une raison convaincante pouvant expliquer son absence de la tribune lors de la seconde partie de ce match et justifier en même temps mon embastillement, on fit écrire à François Soudan, le “ kilaveur jeune africain ” du Renouveau camerounais, que le président de la République avait tout simplement profité de la présence au stade, ce jour-là, de la plupart des membres de son gouvernement pour tenir un mini conseil de ministres sur la guerre de Bakassi, parce qu’il aurait été informé 48 heures auparavant de l’imminence d’une attaque nigériane dans la presqu’île querellée !
Mille millions de mille tombes ! Passe encore l’impolitesse ainsi manifestée à l’endroit du public venu l’accompagner à cette fête du football. Mais voilà un chef d’Etat, garant par excellence de l’intégrité territoriale de son pays, qui, informé de l’imminence d’une attaque ennemie, attend 48 heures pour convoquer son conseil de guerre. Qui plus est, dans un stade de football !!! Un tel chef ne méritait-il pas, si cela était fondé, d’être passé devant une cour martiale pour haute trahison ? C’est dire si au sommet de l’Etat, on a un jour pris au sérieux la tragédie qui se joue à Bakasi depuis maintenant quinze ans.
 

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