Opération Epervier, transition et alternance : quelques pronostics au sujet de notre avenir politique
Maurice Simo Ndjom, 23/08/2008.On l’a assez souligné, le pouvoir central a anéanti tous les acteurs politiques de l’opposition,
les uns par marginalisation, les autres par phagocytose. Au point où, en ce moment, il est difficile d’évoquer notre avenir politique en terme d’alternance. Les données actuelles font plutôt
pencher en faveur d’une révolution de palais. L’objectif de cette analyse modique est de montrer que, dans cette révolution de palais qui se profile à l’horizon, des surprises ne sont pas à
exclure.
L’improbable alternance et la probable révolution de palais
Il est clair que, rendu au crépuscule de son séjour politique au palais d’Etoudi, le président Biya devrait d’un moment à l’autre passer le témoin. La persistance de la tentation du « désir
d’éternité » peut simplement retarder l’échéance. Conscient de la faiblesse institutionnelle et politique de l’opposition, l’entourage du président Biya tourne déjà discrètement le regard
vers la succession, en multipliant néanmoins des efforts d’assujettissement et d’inféodation au prince régnant. Mais ces efforts diplomatiques concordants de discrétion et de déférence à la
suprême majesté ne vont pas sans heurts. Car, dans cette vaste convoitise au sein des sphères du Renouveau, les rivalités n’ont pas tardé à se dessiner, ni les réseaux d’après 2011 à se tisser.
La constitution et la confrontation des réseaux secrets opposés a donc enfanté, par intrigues et calculs politiques interposés, ce que l’on appelle aujourd’hui l’opération Epervier.
Engagée dans une ambiance de fin de règne, cette opération n’a aucune chance d’être validée par une opinion avertie comme ce qu’elle prétend être, à savoir un retour décisif aux idéaux
proclamés par le Renouveau à l’orée des années 80 : la rigueur et la moralisation. Un regard froid et serein permet de dire qu’elle n’est rien d’autre que la résultante des luttes politiques
engagées par l’entourage présidentiel.
Comment la guerre des réseaux a enfanté l’Epervier
En la prenant pour ce qu’elle prétend être, on serait tout de même amené à constater que rien ne militait en faveur de la réussite de l’opération Epervier : ni son avènement tardif, ni son
inspiration hétéronome, ni ses choix arbitraires, encore moins sa méthode à la limite de l’hérésie juridique. Seuls quelques observateurs naïfs ou hypocrites ont persisté à vendre cher la peau de
l’opération Epervier. Si l’émotion et la passion populaires ont salué l’arrestation des rongeurs de la fortune publique, c’était simplement par procuration. Le peuple s’est effectivement nourri
de ces arrestations de la même manière qu’il se nourrit de la religion ou des victoires des lions indomptables.
Si la survivance de l’Epervier surprend un peu, c’est que l’opinion avertie lui a uniquement prêté l’intention de jouer la diversion, le temps de se donner bonne conscience à la face des
partenaires internationaux. On conclut donc que les réseaux en position de force ont très bien compris qu’il n’était pas vain d’instrumentaliser l’Epervier pour se débarrasser de leurs
adversaires. D’où la longévité de cette campagne. En somme, les réseaux en position de force ne vont pas s’arrêter en si bon chemin ; ils vont décapiter leurs adversaires jusqu’à la
dernière énergie, en les accusant de rage.
Comment l’Epervier fabrique des martyrs
On peut aller plus loin, en constatant que la prison politique peut curieusement octroyer à certains clients de l’opération Epervier l’occasion de mieux peaufiner leurs stratégies de prise de
pouvoir. Encore faut-il douter de l’efficacité des réseaux en position de force de démanteler entièrement les réseaux concurrents. Du moins, si elle érige provisoirement une palissade importante
contre les intentions pouvoiristes des lieutenants aujourd’hui embastillés, la prison n’est pas une fin en soi. La liste n’est pas exhaustive des hommes politiques qui doivent leur ascension à
leur passage en prison. Comme on y entre, ainsi on en sort.
Dans le même temps, le peuple, désabusé, pourrait alors constater que l’emprisonnement des rongeurs économiques ne s’est pas accompagné de la rétrocession de la fortune grignotée. De même, il
finirait bien par se demander par quelle alchimie certains vampires économiques ont été embastillés et non d’autres, dans une atmosphère où le détournement de fonds publics continue d’être une
religion politique et où les gestionnaires intègres se cherchent comme une aiguille dans une botte de foin. Elle se rendrait donc compte que l’Epervier est un procès en sorcellerie auquel on a
ajouté un vernis de lutte contre la corruption.
Toutes ces révélations amèneraient alors le commun des mortels à nourrir un sentiment de sympathie, quoique par défaut, à l’endroit des vampires économiques embastillés. Le moment venu, ces
derniers n’auraient alors qu’à transformer ce capital de sympathie en légitimité politique. Il leur suffirait d’emboucher la rhétorique des martyrs et d’exploiter la versatilité des masses, ainsi
que la faiblesse de la mémoire populaire. En effet, celle-ci préférera curieusement écouter les prisonniers « politiques », en oubliant volontiers qu’ils ont été avant tout des Dracula
économiques.
Voilà pourquoi l’avenir peut révéler la naïveté qu’il y a à croire que les réseaux ayant pris le dessus actuellement auront nécessairement le dernier mot. La vague des arrestations et des
emprisonnements intervenus dans le cadre de l’opération Epervier sonne la défaite de certains réseaux dans une bataille certes, mais la guerre pour la révolution de palais, elle, est encore
longue.