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Publié par Delphine E. Fouda

  Thierry Amougou in www.camer.be,09/10/2008.C’est le cas de le dire, quoique nous soyons tous contents d’avoir une belle capitale, la rénovation de la ville de Yaoundé ne fait pas que des heureux parmi les Camerounais. Vous me direz qu’il fallait bien que quelqu’un commence et qu’on ne peut faire d’omelettes sans casser les œufs. Ou alors que c’est le prix à payer, comme le dit Monsieur Gilbert Tsimi Evouna lui-même, si les Camerounais veulent avoir une capitale digne de ce nom.

Nous retrouvons ici une certaine pensée sur le développement qui soutient qu’il a bien fallu qu’on fasse violence aux Amérindiens en détruisant leurs pratiques traditionnelles et leurs cultures, pour que les Etats-Unis soient le pays moderne qu’ils sont aujourd’hui. Le délégué le dit lui-même : « s’il y a quelque chose à casser, je casse. Pour bâtir, il faut parfois passer par la démolition… ». Ceci confirme le processus de destruction créatrice mis en évidence par l’économiste Schumpeter en parlant du rôle de l’innovation dans la dynamique du capitalisme. L’innovation technologique (nouvelle technique, nouveau produit…) détruit l’ancien monde et créée un nouveau.

Force est cependant de constater qu’une rénovation urbaine n’est pas une innovation technologique à mener de façon froide comme à la manière d’un laboratoire de recherche fondamentale où le scientifique travaille sur de la matière insensible à l’instar d’un pur mécanicien. Faire une rénovation urbaine consiste à moderniser la société par l’urbain et ainsi, à poser inéluctablement un problème social. Oui, il n’y a pas de question urbaine qui ne soit la traduction d’un problème social. La ville n’est rien d’autre que le reflet du social, une simple transposition des problèmes sociaux dans l’espace.

Yaoundé que Monsieur Evouna s’atèle aujourd’hui à changer est non seulement le réceptacle et la résonance des conditions de vie difficiles des Camerounais, mais aussi la traduction matérielle et spatiale d’une conflictualité entre riches et pauvres, entre ceux qui vivent en ville et ceux qui vivent de la ville. Aussi, lorsque le délégué du gouvernement de la commune urbaine de Yaoundé déclare : « ce qu’on fait, c’est pour le bien de la cité », on se rend compte que ceux qui lui ont confié ce travail et lui-même ont une approche restrictive et rétrograde de la ville. Ils laissent de côté ce que démontrent les analyses contemporaines des interactions entre acteurs, territoire et développement. La ville n’est plus seulement analysée comme un espace architectural moderne à créer de façon autoritaire, mais comme un lieu de vie à construire avec ses habitants.

Tout se passe comme si le délégué du gouvernement pense que c’est l’espace qui transformera les hommes et leurs habitudes en oubliant que les hommes et leurs habitudes transforment en retour l’espace. Dans cette dialectique d’actions et de réactions entre les hommes et l’espace, «Yaoundé New-look » que construit monsieur Evouna ne peut rester tel quel que si ceux des Camerounais qui l’habitent ont les moyens sociaux et économiques de vivre en harmonie avec cet espace.

Il est illusoire et même naïf de croire que Yaoundé sera une belle capitale avec des pauvres pour lesquels l’occupation du trottoir, le marché de rue et l’habitat spontanés sont des chances de rester en vie. Pour faire dans un style imagé, un trottoir n’est trottoir que pour celui qui a les moyens de vie lui permettant de respecter la contrainte que le trottoir puisse exister en tant que tel et remplir sa fonction.

Dans ce cas, la rénovation de Yaoundé n’a aucune chance d’être durable si les Camerounais qui habitent cette ville et ses environs n’ont pas des moyens de vie supplémentaires leur permettant de respecter la contrainte qu’implique la vie en harmonie avec leur milieu de vie : la rénovation actuelle serait alors une politique de l’autruche sans avenir si elle s’occupe juste de l’espace matérielle sans s’occuper du renforcement des capacités des hommes car une ville, pour qu’elle reste ville, implique la possession de certains moyens de vie par ceux qui y vivent.

Ceci dit, le fait que la rénovation de notre capitale soit appréciée par plusieurs, du moins en principe, n’exclut pas de relever les enjeux que semble perdre de vue ceux qui, dans le feu de l’action, oublient parfois de penser plus profondément à long terme.

Un problème d’ordonnancement des tâches et d’incohérence politique se pose

Sachant que la rénovation urbaine allait surtout toucher les pauvres et donc les quartiers populaires et leur habitat spontané, il semble logique qu’il eût mieux valu qu’on réglât en amont les problèmes relatifs aux permis de bâtir, aux titres fonciers et aux relogements provisoires des déguerpis.

Tel n’est pas le cas car la politique menée souffre d’un ordonnancement inefficient des tâches et des phases de la rénovation. Il est quand même hautement irresponsable, étant donné le grand nombre de dossiers à traiter et connaissant la corruption et la lourdeur administratives de notre pays, de détruire les maisons des Camerounais possédant un titre foncier avant de les indemniser ou de leur trouver un terrain où reconstruire.

Que font-ils en attendant ? Où vivent-ils avec leurs familles ? Que mangent-ils ? Il est socialement criminel de détruire les maisons des citoyens avant d’indemniser, de donner de nouveaux terrains à ceux qui possèdent leurs titres fonciers ou de prévoir un habitat provisoire. (A suivre)

© Camer.be : Correspondance particulière de Thierry AMOUGOU

Paru le 09-10-2008 00:19:37

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