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Publié par Delphine E. Fouda

Dans un exposé riche en connaissances ancestrales de la grande tribu Bëti, le journaliste Ndzana Seme retrace l’origine du mal chez les Bëti et les conséquences qui en découlent. Des cas de figures extraordinaires que l’on pourrait assimiler aux pratiques auxquelles se livrent les adeptes du régime de Paul Biya. A lire absolument!


La religion des Bëti, les péchés et le courroux des Dieux
Lorsque la richesse des Bëti, notamment les hommes, les animaux et les terres, cessait de se reproduire, la famille, la communauté ou le pays ne jouissait plus du bien-être recherché par tous. La cause des souffrances résultant d’un tel tarissement de la richesse était toujours une force maléfique, elle-même actionnée automatiquement par la violation de l’un quelconque des interdits dont le respect est la condition du maintien du bien-être. La violation de l’interdit (nsém) et le principe de la sorcellerie (évú) qui pousse toujours au nsém, actionnant ainsi la colère des Dieux et des Ancêtres, sont les enjeux qui marquent la religion Bëti. Le lecteur africain, tout au moins Camerounais, ne devra plus s’étonner de la similarité de la religion Bëti avec celle de sa propre communauté d’origine. Devant le chaos programmé au Cameroun, il y a lieu d’explorer la solution des traditions.

Par Ndzana Seme


NEW YORK 04/18/2008 - La quête du mvôé (qui signifie paix, santé, bon ordre et bien-être) est la justification fondamentale de l’existence humaine chez les Bëti. Pour maintenir et/ou rétablir le mvôé, les Ancêtres et Anciens Bëti avaient établi des rituels dont la mission est de chasser et/ou de réparer le Mal (sorte de courroux des Dieux manifestée sous forme de asandá ou porte-malheur, olánda ou malédiction, akyaé ou sorte d’envoûtement, etc.) afin le préserver le mvôé.

L’agent du Mal est reconnu comme étant l’évú, ce principe et animal du mgbë (sorcellerie) que les humains doivent maintenir sous contrôle, soit en l’éliminant ainsi que celui qui le porte, soit en le neutralisant ou alors en le transformant pour le soumettre au service de la communauté.

Contrairement donc aux religions importées, dont la plus acceptée a été le Christianisme, la religion Bëti n’est pas fondée sur une quelconque spéculation d’un bien-être qui se trouverait quelque part après la mort. La religion Bëti est plutôt fondée sur l’immédiateté, sur l’immanence.

L’Homme doit se débrouiller lui-même pour rétablir et maintenir le mvôé en sachant respecter les interdits nécessaires, en organisant les rituels curatifs, et souvent aussi en sachant se servir des forces invisibles en présence.

Zambá, l’Ancêtre des ancêtres Bëti, et les interdits

En effet pour les anciens Bëti, Dieu est essentiellement lointain et pratiquement inaccessible aux hommes. Les efforts des missionnaires catholiques, consistant notamment à rendre la pilule biblique absorbable aux Bëti par l’établissement des ressemblances entre leurs mythes et ceux des Bëti, ont par exemple abouti à appeler le Dieu biblique Zambá.

Une bonne connaissance de la religion Bëti montre cependant que Zambá (Nyambé chez les Duala), le plus grand des Ancêtres assimilable à beaucoup d’égards à Aussar ou Osiris égyptien antique sinon à Jésus Christ, ne peut pas être le Dieu biblique.

Les anciens Bëti savaient en effet que Zambá est le fils de Nkombodo, le créateur des hommes, qui lui-même est le fils de Ntondóbë (Loba chez les Duala) le Dieu suprême essentiellement inaccessible des humains porteurs du corps matériel.

C’est Zambá, le plus proche parmi toutes les divinités Bëti et aussi le plus élevé parmi les Ancêtres bienheureux, qui est à la source des rituels du rétablissement du mvôé. Car l’origine de la mort de l’être humain est le nsém (péché, bris de l’interdit appelé éki). En voici le récit mythologique, qui est aussi celui de la venue de l’évú originel dans la communauté des humains.

En effet chaque jour, en partant dans la forêt d’où il ramenait toujours les provisions pour nourrir sa famille, Zambá avait prescrit aux siens l’éki selon lequel, si l’un quelconque des siens tombait dans le nnóm oyó (sommeil mâle ou mort, par opposition au ngal oyó, sommeil femelle ou sommeil tout court) il ne faut pas l’enterrer mais le laisser plutôt là où il est couché jusqu’à son retour.

Pendant que Zambà était absent, l’un de ses enfants tomba dans le nnóm oyó. Après un temps, les mouches s’agglutinant sans arrêt sur le corps de l’enfant qui en plus sentait de plus en plus mauvais, la femme de Zambà demanda aux servants de creuser un trou, d’y mettre l’enfant et de le fermer, de sorte que les mouches resteraient éloignées et ses odeurs ne gêneraient plus personne.

Quand Zambà rentra et trouva qu’on avait enterré sont fils malgré son éki/interdit, il repartit pour un voyage sans retour et leur disant, « Puisque vous avez transgressé mon éki, tout homme mourra et sera enterré comme vous l’avez voulu. » Depuis lors, Zambà est parti et a laissé les hommes à eux-mêmes, à cause de leur incapacité à éviter de commettre le nsém.

Comment l’évú (principe de la sorcellerie) entra au sein de la communauté humaine

En ce qui concerne l’origine de la venue de l’évú au sein de la communauté, que les missionnaires ont alors à tord ou à raison considéré comme le « péché originel » des Bëti, le récit mythique accuse toujours la femme de Zambá, que les Fang appellent Mingon, sœur de Nzame. Car c’est l’évú qui lui aurait conseillé de faire enterrer l’enfant qui était dans le nnóm oyó. Or en plus de l’éki de ne pas enterrer celui qui tombe dans le nnóm oyó, Zambá avait également apprit à sa femme et à sa fille déjà grande qu’il y a dans la forêt une bête méchante qu’on appelle évú. Il leur prescrit l’éki de ne jamais prendre l’évú.

Cependant, pendant l’une des absences journalières de Zambá, sa femme piquée de curiosité entreprit de le suivre. Après avoir traversé plusieurs forêts sur les traces de Zambá, Mingon trouva beaucoup de gibier entassé sur le chemin à côté d’un marécage. Elle se demanda : « qu’est-ce qui peut bien tuer ces bêtes ? ». Une voix sortit du marécage en répondant : « C’est moi, c’est moi l’évú et je suis le chasseur de Zambá. »

Mingon entra en conversation avec l’évú en lui expliquant qu’elle venait prendre le gibier mais que le chemin est trop long pour arriver là. Elle proposa à l’évú de l’amener au village, de cette façon, le problème de distance serait résolu. Elle aurait le gibier directement au village et Zambá n’aurait plus besoin de sortir tous les jours pour aller chasser, raisonna-t-elle.

La femme lui demanda : « Où es-tu ? Je veux te voir. » L’évú répondit : « Me voici. ». La femme regarda et vit alors un énorme crapaud qui sortait de l’eau. « Mais comment vous transporter ? », demanda la femme. Et l’évú de répondre : « C’est facile, accroupis-toi. » La femme s’accroupit et l’évu lui entra dans son ventre par le sexe.

Mais arrivée au village, Mingon entendit une voix qui lui disait dans le ventre : « Femme, j’ai faim ». La femme lui répondit : « C’est à toi de te nourrir ». L’évú lui dit : « Si tu ne me donnes pas à manger, je te mange toi-même ».

La femme donna ainsi successivement un poulet, puis un deuxième, puis un troisième et finalement tout le poulailler, pour calmer la faim de l’évú, qui fit aussitôt mourir chaque volaille. Mais rien n’y fit. La femme lui sacrifia tous les animaux domestiques du village et il n’y avait plus rien à manger au village.

« Femme, j’ai faim », continua de dire l’évú. La femme lui répondit : « Je n’ai plus rien ; tu me fatigues, retournes dans ton marécage. » L’évú lui dit : « J’y suis, j’y reste ; il valait mieux ne pas me prendre ; nous sommes liés pour la vie ; donnes-moi ta fille ou c’est toi-même que je mange ». La femme lui donna l’accord et sa fille mourut tout de suite.

Sur ces entrefaites, Zambá survint et demanda à sa femme : « Où sont les animaux ? Où est ma fille ? Je ne reconnais plus mon village si beau autrefois. N’aurais-tu pas pris l’évú ? ». La femme avoua finalement. Zambá lui dit : « Montre-moi ma fille, je vais la ressusciter ». Elle répondit : « Je l’ai enterrée. ». C’est ainsi que Zambá décida de partir pour de bon, en laissant dans son village l’évú et l’awú (la mort).

Le péché originel

L’inceste, l’un des plus grands minsém (pluriel de nsém ou bris d’interdit), semble être le véritable péché originel des Bëti. L’inceste ou nsém de rapports sexuels entre membres d’un même mvóg (lignage ou communauté de descendants d’un même ancêtre), tout comme son équivalent en termes de gravité qu’est le meurtre (verser le sang) d’un consanguin, est la cause d’un Mal que l’on appelle tsuó, un courroux des Dieux et des Ancêtres sous forme d’une force invisible qui ravage par des décès successifs au sein de la famille portant le nsém, par l’infertilité ou mortalité des enfants à la naissance (akyaé) chez les femmes d’une telle famille ou par leur mise au monde d’enfants mongoliens.

Selon la mythologie Bëti, Zambá avait fait un enfant avec sa fille. Il alla ensuite jeter l’enfant en brousse pour cacher son nsém d’inceste. Depuis lors la fille de Zambá voyage à travers les forêts, les cieux et les mers à la recherche de son enfant.

L’auteur de ces lignes avait grandi dans un village où certains soirs, les parents nous demandaient de ne pas sortir parce que « ngon Zambá ya dzeng món » ; ce que nous comprenions alors à tord suivant l’appréhension chrétienne selon laquelle la lune (ngon signifie en même temps lune et fille) de Dieu cherche son enfant. Il fallait plutôt comprendre « la fille du Dieu Zambá cherche son enfant ». Ceci demande des rituels particuliers basés sur des metunenga (offrandes) pour apaiser la fille de Dieu.

La place centrale des rituels dans la religion Bëti

Selon la mythologie Bëti, Zambá qui ne serait rien d’autre qu’Osiris habitait autrefois parmi les hommes. C’était l’âge d’or marqué par l’absence de l’évú et de l’awú. Zambà avait le pouvoir de tirer chacun du sommeil mâle par un mot ou bénédiction. Le bris des interdits (nsém) détourna Zambà des hommes, qui depuis lors font face aux souffrances et à la mort.

Pour éviter aux hommes les souffrances et éloigner l’échéance de la mort, les hommes ne peuvent retrouver un mvôé (essentiellement temporaire) qu’à la suite de rituels exécutés dans toutes leurs phases. Les rituels consistent à apaiser la force maléfique que le bris d’interdits a déclenchée automatiquement, en sacrifiant notamment à une telle force des membres de la communauté où le nsém a été commis.

Contrairement à certaines communautés, notamment les Maka qui sacrifiaient un enfant réel dans un rite comme le So, les animaux, notamment la kábat (chèvre), sont substitués aux humains dans le sacrifice. Mais les humains offerts ainsi en offrande, notamment les enfants adolescents, doivent en plus traverser diverses épreuves marquées chacune par autant de souffrances.

Car, tout comme Zambá ou Jésus qui devait passer par la passion et la mort pour pouvoir ressusciter, les jeunes que les anciens Bëti envoyaient aux rites d’initiation So devaient traverser multiples souffrances, mourir symboliquement, avant de renaître dans leur nouveau statut d’adultes.

Mais les rites chez les Bëti n’étaient pas organisés avec pour objectif l’initiation des jeunes pour le passage au statut d’adultes. Les rituels, que ce soit le So des hommes, le mevunga des femmes, le melaán, le ngi ou le tsuó, étaient organisés parce qu’un nsém avait été commis et qu’une force invisible, dont le nom est justement le même que le rituel, est entrain de commettre des dégâts et de compromettre le mvôé demandé par tous. C’est pour apaiser une telle force maléfique que l’on organisait les rituels, dans le but de lui faire des offrandes et de souffrir pour apaiser son courroux.

La question qui se pose aujourd’hui aux Bëti, mais également aux autres communautés du Cameroun, est celle de savoir si le courroux des Dieux n’est pas actuellement entrain de ravager nos communautés à cause des minsém commis sans traitements nécessaires par les rituels appropriés ; ceci depuis plus d’un siècles que la religion fut interdite par l’occupant colonial allemand. Le régime Biya n’a-t-il pas commis un nombre incalculable de minsém qui sont entrain de plonger la communauté Bëti, tout comme les autres communautés, dans le tolindong ?
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