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Publié par Delphine E. Fouda

Entretien mené par Léopold Chendjou, Le Messager,11/06/2008.Elève dans un collège d’enseignement privé à Douala, T.P.P âgé de seize ans a été arrêté un matin du 25 février 2008 par les éléments du Groupement mobile d’intervention (Gmi) n°2. Après un court séjour dans les locaux de la Pj, il est placé sous mandat de dépôt à la prison de New-Bell au motif d’attroupement sur la voie publique. Condamné à 6 mois d’emprisonnement ferme, il a bénéficié de la mesure de grâce présidentielle. Dans cet entretien au Messager, ce jeune parle de son quotidien à la prison centrale de New Bell pendant son séjour.

Dans quelle circonstance as-tu été arrêté ?

Un matin du 25 février, à 6 heures du matin, alors que je conversais avec mes copains du quartier, un car du Gmi est arrivé, les policiers nous ont cernés en pointant leurs armes. Certains de mes copains ont fui, moi je suis resté, ils m’ont embarqué dans leur camion. Une fois à l’intérieur du camion, j’ai reçu des coups de crosse. Je porte encore les cicatrices de ces violences. J’ai été transporté par la suite à la PJ. Là-bas, les violences n’ont pas cessé. J’ai été régulièrement tabassé par les policiers. Après, on m’a confié à un enquêteur, ce dernier m’a dit que je suis poursuivi pour attroupement et autres sur la voie publique.

Et après…
Après m’avoir entendu, il m’a envoyé en cellule. J’ai demandé à joindre mes parents, les policiers ont refusé. Au contraire, ils ont continué à me tabasser, me demandant si ce sont mes parents qui m’ont envoyé manifester dans la rue. Dans la soirée, aux alentours de 21 heures, je suis transféré au commissariat du 1er arrondissement à Bonandjo. J’y passe quatre jours sans nouvelles de ma famille. Le 29 février, ils m’ont envoyé au parquet. C’est après avoir signé mon mandat de dépôt que j’ai pu joindre mes parents pour les informer de ma situation.

Comment s’est déroulé ton incarcération à la prison ?

Une fois à la prison centrale de New-Bell, j’ai été accueilli par les coups de fouet des gardiens de prison. C’est après, qu’on m’a envoyé dans une chambre obscure, sans ouvertures. Je me suis assis sur les selles et les urines. Après une journée dans cette chambre, on m’a transféré dans le quartier des mineurs « spécial 19 » et ceci après avoir encore été copieusement tabassé. Une fois dans la spécial 19, j’ai été accueilli par le chef cellule, un certain Effa James. Il m’a aussi bien roué de coups, expliquant son comportement par le fait que je suis un « bleu ». J’ai dormi sur un banc. A quatre heures du matin, j’ai débuté la corvée qui consiste à nettoyer la cellule.

Raconte-nous ton quotidien de nouveau prisonnier

Dès le matin à 7 heures, nous faisons une petite prière, après, les anciens rentrent se coucher. Les nouveaux font de petits travaux. Pour mon cas, je donnais toujours de l’argent au chef cellule et au Sg pour qu’ils ne me fassent pas trop travailler. A neuf heures, c’est la fin des petits travaux. A treize, la ration pénitentiaire, à seize, bain pour tout le monde. Après c’est l’appel. Je dois dire que dans une petite cellule, nous étions 114. Pour dormir sur le lit, il faut payer entre 2 500 et 5000 Fcfa. Lorsque vous n’avez pas de moyens, (on les appelle des pingouins) vous dormez à même le sol, collé les uns sur les autres. C’est pour cela qu’on attrape facilement la gale et d’autres maladies telles que la tuberculose. Je dois dire que lorsqu’il pleut, le contenu des fosses septiques se retrouve dans notre cellule, et les anciens nous demande de nettoyer.

De quoi est constituée la ration servie aux prisonniers ?
Il s’agit du « Kontchap », (mixture de maïs et de haricot avec de l’huile) généralement, vous trouvez des cancrelat, des asticots et des mouches dans ce repas. Ce n’est pas bon à manger mais on n’a pas le choix. Lorsque tu n’as pas un bol pour recevoir ton repas, on te le verse dans tes mains. A 20 heures, c’est la ration du riz. Là encore il s’agit encore d’un riz mal préparé, avec une mauvaise sauce d’arachide. Pour ce qui me concerne, j’avais de la peine à manger la nourriture faite en prison, mes parents me ravitaillaient de temps en temps. Le problème, c’est que je devais laisser plus de la moitié de ce que mes parents me donnent aux anciens pour ne pas être dérangé.

On parle aussi de beaucoup de brimades à l’intérieur de la prison

Au sein de la prison, il y’a le Sg, le chef cellule, et le commandant. Ils se comportent comme de véritables dieux. Tous les prisonniers sont tenus de verser de l’argent à ces gens pour ne pas être menacés. Si vous ne payez pas une certaine somme au chef d’hygiène, il te réveille à 4 heures pour faire la corvée caca (aller vidanger les fosses septiques) Lorsque vous bagarrez, on vous traîne dans une cellule disciplinaire (Cd) et l’on vous concasse (vous êtes suspendu par les pieds, la tête en bas à l’aide des chaînes et vous êtes fouetté avec une planche). Le traitement est infligé aux homosexuels pris en flagrant délit et les évadés. J’ai été concassé une fois, et je vous assure qu’il n’y a pas plus douloureux que cela.

Et en cas de maladie

Lorsque tu es malade, tu vas à l’infirmerie, tu es obligé de « tchoko » (graisser la patte, Ndlr) pour être soigné. Si tu ne donnes pas de l’argent, même si tu restes 100 ans, tu n’auras jamais de médicaments. C’est pour cela que les gens meurent beaucoup.

On parle aussi beaucoup d’homosexualité au sein de la prison

C’est vrai. J’ai failli être victime de cela. Je me suis plaint et les responsables de la cellule ont puni l’auteur. J’ai observé plusieurs cas de sodomie. Je dois dire que les victimes de l’homosexualité au sein de la prison sont ceux qui n’ont pas de visites, c`est-à-dire “les pingouins”. Parce qu’ils n’ont pas de moyens de subsistance, ils sont obligés d’accepter les avances des homosexuels. Il y a aussi le cas de certains prisonniers qui sont drogués par les autres prisonniers, puis sodomisés après. Le problème, c’est que ces homosexuels sont constitués en réseaux, et influencent les autorités pénitentiaires.

Et si on demandait en deux mots de décrire la vie en prison, que dirais-tu ?

C’est l’enfer sur terre

Aujourd’hui libre, comment entrevois-tu ton avenir ?

Je suis tellement ému. Je reviens de très loin. C’est après avoir revu mes parents que je vais vraiment réfléchir sur mon avenir. Dans tous les cas, il faut bien que je reprenne mes études.

Avec le recul, comment analyse-tu les événements qui t’ont conduit en prison ?

Je dirais d’abord aux parents de bien éduquer les enfants, de leur montrer le bon chemin dans la vie. Parce que la prison n’est pas une bonne chose. Aux jeunes je dirais, travaillez, pour éviter l’ennui et le besoin. C’est cela qui vous entraîne en prison.

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Nom d’emprunt. Le véritable nom de l’interviewé a été changé pour préserver son anonymat, à sa
demande.
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