Cameroun : Le martyr d'un évèque soupçonné de tentative de coup d'Etat par le régime néocolonial
Le 27 Août 1970, quarante cinq minutes après son arrivée au Cameroun, Mgr Ndongmo s’apprêtait à diriger la prière du soir dans l’enceinte de la procure des missions à Douala. Il retrouvait peu à peu cette chaleur africaine et surtout la sérénité d’être auprès des siens. Les deux semaines passées dans la capitale pontificale avaient renforcé ses convictions.Durant le trajet, de l’aéroport de Douala à la procure dans le quartier résidentiel d’Akwa, il avait tenté de minimiser l’incidence sur son programme annuel des jours passés à Rome. Son bref séjour lui avait permis de donner au Pape et surtout au cardinal de la curie des éclaircissements sur les rumeurs qui circulaient à son propos.
Au cardinal Villot, comme un mois auparavant lors d’une conversation avec l’archêveque de Yaoundé, Mgr Zoa, il avait tenu à préciser qu’il était victime d’une machination. Il accusait nommément Jean Fochive, le Directeur des services secrets camerounais. Face aux inquiétudes du Cardinal Pignedoli, qui avait des doutes sur la bonne qualité des rapports entretenus avec les hommes politiques camerounais, il n’eût pas de mal à situer ses relations, avec ces derniers, dans la mouvance des rapports brouillés entre les catholiques et les nouveaux dirigeants camerounais depuis 1962.
Pour illustrer, il cita la prise de positions de l’Eglise contre les dérives du parti unique, les expulsions des missionnaires qui s’étaient montrés regardant sur les droits de l’homme, le problème des écoles confessionnelles et des multiples autres tracasseries des chrétiens…
“Nous vous amenons à Yaoundé”
Le calme, qui précédait le début de la prière, fut brutalement rompu par l’intrusion dans l’enceinte de la procure de deux voitures. Les policiers qui surgirent des voitures semblaient connaître
les lieux. Ils se dirigèrent vers l’office. Au prêtre de permanence, ils exigèrent d’être conduits dans les locaux occupés par l’évêque de Nkongsamba. Les remous inhabituels avaient attiré
l’attention des quelques résidents. Dans le couloir qui menait aux chambres, la silhouette longiligne de Mgr Ndongmo était apparue. Il n’eût pas le temps de leur indiquer qu’il allait les suivre
sans problème. Deux des hommes l’empoignèrent sans ménagement. Entre deux policiers, il refit le chemin inverse vers l’aéroport de Douala. “Nous vous amenons à Yaounde”, lui lanca le plus jeune
des hommes qui l’encadraient dans l’arrière de l’automobile.
M. Félix Sabal Lecco, ministre de la justice, assumant l’interim du ministre d’Etat chargé des Forces armées et parlant en cette qualité, fit une déclaration à la presse nationale et internationale représentée à Yaoundé et réunie à cette occasion dans la salle du cinéma du ministère de l’Information. C’était en presence de M. Vroumsia Tchinaye, ministre de l’Information, M. Guillaume Nseke, Inspecteur fédéral de l’administration pour le Centre-Sud et plusieurs hauts fonctionnaires de la république. Voici la déclaration de M. Sabal Lecco:
“ Messieurs les journalistes, en tant que ministre des Forces armées par interim et ministre de la justice, j’ai jugé utile au nom du gouvernement, de convoquer les correspondants de presse que vous êtes, pour vous entretenir de l’arrestation récente de Mgr Ndongmo.
Il n’est certes pas dans les habitudes du gouvernement camerounais d’entretenir la presse de telles affaires alors que l’enquête suit encore son cours.
Toutefois, étant donné le caractère exceptionnel de l’évènement, le gouvernement a jugé opportun d’utiliser également une procédure exceptionnelle pour, à travers vous, informer largement l’opinion.En Mai 1969, nos services de sécurités ont découvert un complot visant à assassiner le chef de l’Etat pour ensuite renverser nos institutions. L’interrogatoire des conjurés a gravement mis en cause Mgr Ndongmo et a particulièrement mis en relief son action dans la conception, la direction et la mise en oeuvre du complot.
En dépit de cette dénonciation, le président de la République fédérale a donné des instructions pour que Mgr Ndongmo ne soit pas inquiété en attendant de plus amples informations. Il y a quelques jours survenait la capture du chef rebelle Ernest Ouandié dans le Mungo. Des déclarations de l’interessé en cours d’interrogatoire ainsi que les documents trouvés sur lui, ayant établi de manière claire la complicité active depuis de longues années de Mgr Ndongmo avec la rébellion, le gouvernement a décidé d’arrêter celui-ci et de le traduire devant les tribunaux où il devra répondre de ses actes.”
Le procès du coup d’Etat des Anges
Près de quatre mois après cette arrestation brutale et peu courtoise, Mgr Ndongmo était devant la barre du tribunal militaire de Yaoundé. Avant le début de l’audience, il priait doucement. Ses
mains posées sur ses genoux, il rendait grâce à Dieu. Durant de longs mois, il s’était
demandé s’il aura un jour l’occasion de témoigner devant la barre. Les traces physiques des tortures avaient cicatrisé. Il retrouvait peu à peu l’usage de ses membres supérieurs. Car, bien
qu’enfermé dans un cachot humide et sombre de la police militaire, ses geôliers prenaient soin de lui laisser des menottes aux poignets. Ils participaient à leurs manières à la diabolisation de
l’homme. La radio d’Etat faisait lire en boucle les nombreuses motions de soutien au régime Ahidjo et surtout des appels à une sanction exemplaire pour “les apprentis
sorciers.”
Mgr Ndongmo et les 76 autres personnes arrêtées au même moment n’avaient toujours pas des précisions sur les faits qui leurs étaient reprochés. Le premier jour du procès, l’Unité, le journal du parti unique au pouvoir, l’Union Nationale Camerounaise (UNC), fit sa une sur “l’Affaire Monseigneur Ndongmo”. Les camerounais découvrirent ainsi les charges retenues contre l’évêque de Nkongsamba. Le journal notait: “On reproche à Mgr Ndongmo, ainsi qu’à Tabeu Gabriel dit Wambo-le-courant, Takala Célestin et Fandjept Zacharie, d’avoir à Yaoundé, arrondissement de Djoungolo, départment de la Mefou, courant 1967-1968, en tout cas depuis un temps que les faits ne sont pas encore prescripts:
- “organisé et commandé une bande armée dans le dessein de tenter par la violence,
soit de modifier les lois constitutionnelles, soit de renverser les autorités politiques…”
- “Tenté d’assassiner le président de la République Fédérale du Cameroun ainsi que ses proches
collaborateurs…”
Aumônier du groupe de prière “La Sainte Croix”
Le président du tribunal fut plus précis. Il voulait faire admettre au prélat son rôle comme aumônier du groupe de prière dénommé “La Sainte Croix”. Celui-ci, selon le magistrat, avait pour ambition de fomenter un coup d’Etat avec l’aide des Anges.
Devant l’étonnement de Mgr Ndongmo, qui osa, “Monsieur le président, comment pouvais-je ? Je suis un homme d’Eglise et pas un soldat”. Sans se démonter, répétant les phrases qu’il semblait avoir mémorisées, le magistrat, tout en feuilletant furtivement le dossier posé devant lui, gronda: Monseigneur Ndongmo ? Etiez-vous ? Oui ou non, l’aumônier du groupe de prière “La Sainte Croix” ?
Oui ! Monsieur le président, je suis aussi l’évêque de Nkongsamba, le Directeur de publication du journal l’Essor Des Jeunes, le co-fondateur de la société Mungo Plastique. Il avait arrêté son énumération sur un geste de la main du président. Ce dernier reprit la parole. Penché sur la pile de feuilles, il lu: “Du 20 Novembre 1966 au 13 Juillet 1967, en compagnie du dénommé Tabeu Gabriel dit Wambo-le courant et de Takala Célestin, vous avez organisé tous les Mardi des séances de prières autour d’un fusil de chasse qui vous appartenait”, termina-t-il en levant la tête.
Sans laisser le temps aux prévenus de réagir, il reprit : “En Août 1967, Wambo-le-courant vous affirme qu’il a une vision, et que l’archange Michel lui a fait savoir que Dieu n’était pas content du gouvernement du Cameroun, et que celui-ci devait être remplacé. Le remplacement allait être effectué à l’issue d’une lutte mystique au cours de laquelle des Anges eux-même devaient opérer. Ainsi, pour symboliser cette lutte mystique, il fallait déposer des armes à l’endroit ou vous prierez, et les y laisser pendant toute la durée de la prière”.
Que pouvait dire le prélat ? Evêque dans un pays de près de 40% de chrétiens, il ne pouvait pas s’étonner de n’être pas le seul à croire aux miracles. Il avait beau clamer son innocence, ses rapports avec le président Ahidjo pour ramener la paix dans le pays, rien n’y fit. L’on était dans le domaine de la croyance. Que valait la croyance d’un prélat qui avait eu le culot de défier le pouvoir dans des chroniques de son journal, dans l’opposition aux mesures contre l’école catholique. Croyance contre croyance l’évêque ne pesait pas lourd. Condamné à mort, sa peine fut commuée en détention à perpétuité.
Au lendemain du verdict du tribunal militaire de Yaoundé, le quotidien gouvernemental “La Presse du Cameroun” faisait le commentaire suivant:
[Les procès de Yaoundé sont entrés depuis mercredi dans l’histoire. Le tribunal militaire permanent a rendu ce jour-là son verdict sur l’affaire du complot. Trois condamnations à mort ont été prononcées. Elles frappent Mgr Albert Ndongmo, ancient évêque de Nkongsamba, Tabeu Gabriel dit “Wambo-le-courant” et Takala Célestin, condamnés pour s’être rendus coupables d’avoir à Douala et à Yaoundé, organisé et commandé une bande armée dans le dessein de renverser le régime et d’assassiner le chef de l’Etat et ses proches collaborateurs.
La veille, c’est à dire mardi, le tribunal militaire avait prononcé une autre sentence, relative au procès de la rébellion dont la tête d’affiche était le chef rebelle upéciste Ouandié Ernest. Trois peines de mort ont été également prononcées, tandis que la seconde vedette du procès , Mgr Ndongmo était condamné à la détention à vie.
Pour ces deux procès vingt-cinq acquittements – dix pour la rébellion et quinze pour le complot – ont été prononcés. Ce qui démontre le sérieux avec lequel ces jugements ont été menés.] Les six condamnés à mort des procès de la rébellion et du complot tels que présentés par le quotidien gouvernemental, La Presse du Cameroun, au début du mois de janvier 1971:
Procès de la rébellion
- M. Ouandié Ernest, chef rebelle, fondateur de l’armée de libération nationale du Kamerun (ALNK), chef des maquisards et leader de l’Union des Populations du Cameroun (UPC); peine de mort.
- M. Njassep Mathieu, dit “Ben Bella”, maquisard et sécrétaire particulier de Ouandié; peine de mort.
- M. Fotsing Raphaël, maquisard et agent de liaison entre Ouandié et Mgr Ndongmo; peine de mort.
Procès du complot
- Mgr Ndongmo Albert, ancien évêque de Nkongsamba, instigateur du complot de coup d’Etat. Outre la peine de mort, condamné à la détention à vie pour complicité avec la rébellion de Ouandié.
- M. Tabeu Gabriel dit “Wambo-le-Courant”, terroriste, fondateur et responsable politico-militaire avec Mgr Ndongmo du mouvement de la “Sainte Croix pour la libération du Cameroun”; peine de mort
- M. Takala Célestin, commerçant à Douala, membre de la “Sainte Croix” dont il était le financier; peine de mort.
Communiqué de la présidence de la République
[Depuis l’annonce des verdicts du tribunal militaire permanent de Yaoundé, certains milieux extérieures qui ne se sont jamais souciés des problèmes du Cameroun s’intéressent subitement au sort
des condamnés.
Et la présidence de la République fédérale du Cameroun dans un communiqué publié hier matin s’étonne particulièrement de l’assimilation tendancieuse et pour le moins malveillantes que ces milieux extérieurs tentent de faire avec d’autres procès qui ont récemment eu lieu dans le monde. “Les procès sur la rébellion et le complot contre la sûreté de l’Etat, poursuit le communiqué, se sont déroulés en présence d’observateurs internationaux qui ont pu se rendre compte qu’ils se sont déroulés dans de parfaites conditions de sérieux, de liberté et de régularité”.
Rappelons que ces observateurs au nombre de trois sont:M. Guisseppe Caessano, vice-président de l’association italienne des juristes catholiques représentant Pax Romano, Me Martin Acharé, ancien bâtonnier genevois, représentant la commission internationale des juristes et Me Louis Pettiti, avocat à la cour d’appel de Paris, représentant le mouvement international des juristes catholiques et le centre de la paix mondiale pour le droit.]
Le président de la République Fédérale du Cameroun, M. Ahmadou Ahidjo, utilisa ses prérogatives pour commuer les peines de mort prononcées contre Mgr Albert Ndongmo, M. Takala Célestin et M. Njassep Mathieu en détention à vie. Ceux des condamnés à mort qui n’avaient pas obtenu la grâce présidentielle, notamment, MM. Ouandie Ernest, Tabeu Gabriel et Fotsing Raphaël avaient été fusillés sur la place publique à Bafoussam le 15 Janvier 1971.
Le gouvernement de la République Fédérale du Cameroun au moment des faits sus-évoqués était composé comme suit:
Gouvernement Fédéral (avant le remaniement du 25 Janvier 1971)
Président: M. Ahmadou Ahidjo
Vice-Président: M. Muna Tandeng Solomon
Ministres
D’Etat:
Administratration Territoriale: M. Enoch Kwayep
Sécrétaire Général à la Présidence: M. Biya Paul
Forces Armées: M. Sadou Daoudou
Autres Ministres: Justice, Garde des Sceaux: M. Sabal Lecco Félix
Affaires Etrangères: M. Nteppe Raymond
Plan et Aménagement du Territoire: M. Onana Awana Charles
Finances: M. Bidias à Ngon Bernard
Développement Industriel et Commercial: M. Mpouma Léonard
Santé Publique et Population: M. Fonlon Bernard
Education, Culture et Formation Professionnelle: M. Mongo So’o Zachée
Transport: M. Efon Vincent
Travail et Sécurité Sociale: M. Nzoh Ekhah Nghaky
Ministres chargés de Missions à la Présidence: M. Ayissi Mvodo Victor & M.
Akassou Jean
Postes et Télécommunications: M. Egbe Tabi Emmanuel
Information: M. Vroumsia Tchinaye
Fonction Publique: M. Maikano Abdoulaye
Jeunesse et Sports: M. Njiensi Michel
Ministre Délégué à l’Inspection Générale de l’Etat: M. Ngoubeyou Francois-Xavier
Vice-Ministre de la Santé Publique et de la Population: Mme Tsanga Delphine
Le changement majeur du réaménagement du gouvernement fédéral de Janvier 1971 avait consisté à la nomination de M. Nteppe Raymond au poste de Ministre chargé de Missions à la Presidence, et son
remplacement au Ministère des Affaires Etrangères par M. Keutcha Jean
Ntche, Tissah Georges, Enseignant et Chargé de Recherches, Washington, DC / USA