Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Delphine E. Fouda

 Maurice Simo Djom/le jour numéro 131 du mardi 1er avril 2008
      

Que l'interpellation de Polycarpe et ses compagnons tombe comme mars en Carême, au dernier jour de ce long mois de jeûne et de pénitence n'est pas anecdotique. Soit. Mais au-delà de la victoire symbolique que représente cette opération de charme dans un pays aux immenses défis de bonne gouvernance et de restauration de la salubrité des mœurs politiques et publiques, il y a des espérances et des leçons  à tirer de cet événement.

Une affaire de nécrologie
L'arrestation de quelques pontes du régime intervenue hier était officieusement prévue et consensuellement souhaitée depuis très longtemps. Pour beaucoup, cela n'était plus qu'une question de temps. Du reste, l'engouement avec lequel elle était espérée autorise à dire qu'il s'est agi moins d'une arrestation que d'une levée de corps. Polycarpe et ses compagnons étaient en réalité morts et enterrés par une forme persistante et endurante de ce que Armand Leka Essomba appelle la " nécro-rumeur " liée à leur emprisonnement. Ceci dans le temps où ils continuaient pourtant de vaquer paisiblement à leurs occupations. Donc alors qu'ils étaient encore libres de leurs mouvements, allant et venant sous le regard agacé de la nation entière trop consciente de leurs incartades financières, de nombreux vacarmes ont persévéré à annoncer leur interpellation, avec insuccès hélas. Au regard de leur arrestation effective à ce jour, l'on constate simplement que la rumeur a fini par s'avérer fondée. Les charognards de la presse ont donc tiré sans façon sur des corbillards à l'intérieur desquels gisaient Polycarpe et ses compagnons, des cadavres qui ne voulaient pas mourir, des agonisants qui s'agrippaient à la vie avec la dernière énergie et se gaussaient de ceux qui les voulaient enterrés. Avec ces fausses nouvelles, les journalistes ont multiplié, sur l'étendue du territoire, des joies collectives qui se sont estompées lorsque l'information s'est avérée fausse.
En réalité, dans certains cercles bien restreints, l'interpellation de Polycarpe et ses compagnons était prévue pour intervenir au début du mois de mars, la période à laquelle la rumeur a pris plus d'ampleur que par le passé. Or, pour ne pas donner l'impression que les présumés détourneurs de fonds étaient des agneaux de sacrifice, le président Biya, ancien séminariste, très imprégné de la mythologie chrétienne catholique, a laissé s'écouler le temps de Carême, voire la Pâque chrétienne avant de conduire les vampires financiers à leur dernière demeure. Voilà de quel point de vue on peut dire qu'il a redonné de l'espérance aux Camerounais : au moment où la communauté chrétienne célèbre encore la résurrection du Christ, symbole de la victoire de la vie sur la mort, donc de l'espoir sur le désespoir, cette mise en bière d'importants vampires financiers autorise la persévérance au milieu de ce long calvaire d'injustices sociales dont sont victimes les seuls Camerounais d'en bas.
Une question de santé publique
Bien menée, la campagne Epervier porterait l'éthique à son comble tout en prodiguant une santé de plusieurs ordres. La nouvelle de l'arrestation de Polycarpe et ses compagnons a été accueillie avec des scènes de liesse populaire dans tous les coins de la république. Cette santé émotionnelle et symbolique ressemble un peu à celle manifestée après les victoires des lions indomptables. Nombreux sont à considérer la chute des vampires financiers comme la symbolique revanche de la justice sur le laisser-aller, une victoire de l'espoir sur le scepticisme. Plus de 80% de Camerounais vivent sous perfusion et ne cachent pas leur amertume face à la richesse ostensible  de quelques lieutenants du régime. Alors mettre Polycarpe et ses affidés face à leurs responsabilités serait aussi soigner la misère en tuant les vampires financiers. Mais il  y a plus important que le soin qui se contenterait de soulager, c'est guérir le mal corruption en tuant la gangrène " impunité " Cette cure cathartique  est une véritable opération médicale collective,  une chirurgie esthétique consistant à dégrossir la nation de ses vampires financiers ou alors à guérir une rage de dents en extirpant les dents cariées pour que la bouche ne devienne pas fatalement une décharge.
Cette santé procurée est aussi morale ; c'est une revalorisation de l'éthique sociale. Le citoyen conscient que l'impunité n'est pas légion est à moitié averti. L'enjeu d'une campagne de salubrité sincère et efficace est de restaurer une morale de type agricole. Elle veut punir trois types de contrevenants : ceux qui récoltent là où ils n'ont pas semé (le vol), ceux qui récoltent ce que les autres ont semé (la spoliation) et ceux qui récoltent disproportionnellement à ce qu'ils ont semé (la cupidité). Au-delà, la santé procurée est aussi institutionnelle : jauger l'équilibre et l'indépendance des pouvoirs en extirpant du fruit le ver de la prédominance excessive du pouvoir exécutif sur le judiciaire.
Provisoire victoire du bien sur le mal
La métaphore n'est pas osée. Polycarpe et ses compagnons sont des vampires financiers. En attendant que la justice de fasse son travail, on résisterait difficilement de remarquer que face à la grande misère des familles camerounaises qui ont moins d'un dollar par jour pour nourrir femmes et enfants, la prospérité de certaines élites gouvernementales laisse sans voix. Pire que leur prospérité, c'est leur cynisme qui est le plus à mettre en cause. Comment oublier l'arrogance et la jactance de l'ancien ministre de l'Economie et des Finances s'employant à expliquer la fécondité  de sa tardive vocation religieuse, voire la virginité de son casier judiciaire, en définitive l'exemplarité de sa vie, la noblesse de sa personne et, par ricochet, la stupidité des nombreux Camerounais qui constatent qu'il a largement récolté là où il n'a pas semé ?
Dans cette logique, la mise en bière de Polycarpe et ses compagnons est un triomphe des forces du bien sur les forces du mal, une importante revanche de la justice sur le cynisme et le machiavélisme. L'ostentation de leur vie privée, leur zèle et leur arrogance, filles de leurs inconduites financières à peine dissimulées, avaient fini par exaspérer plus d'un. Tous ne rêvaient que de leur chute imminente. Voilà pourquoi la journée du lundi 31 mars a été une sorte de veillée sans corps dans tous les bars, mais une veillée sans corps plutôt festive au cours de laquelle la joie a pris le pas sur le chagrin. Sur chaque visage, on peut lire que l'espoir est  à nouveau permis.
Au-delà de la psychose des arrestations, questionner l'Opération Epervier
Et pourtant quelle que soient l'intensité de la joie ressentie à la levée de corps de Polycarpe et ses compagnons, il y a des fortes chances que la lucidité doive s'inviter  à l'analyse. Que l'on continue de se rappeler que l'enfantement de l'Opération Epervier se situe dans un contexte conjoncturel au milieu duquel les dirigeants camerounais étaient notoirement sommés de faire preuve de bonne gouvernance. Beaucoup continuent de se demander ce qu'on ne serait pas prêt à faire dans l'optique de la quête  du légendaire point d'achèvement. Du coup, l'opération avait été frappée de plusieurs tares dès sa naissance : la première étant son hétéronomie ; à partir du moment où elle était aussi dictée de l'étranger que les autres grandes résolutions touchant à la vie politique des Etats postcoloniaux qui se respectent, sa crédibilité était fort peu probable. Qui plus est, au moment d'être appliquée, elle souffrit d'une deuxième tare : l'arbitraire des dieux : on remarqua très vite que l'Epervier ne s'envolerait que dépendamment de l'agenda secret du centre présidentiel  constitué en position solaire de gravité. Etant donné les ambitions d'éternité dont est crédité ce centre, on est tenté de croire que l'opération s'étendra dans l'espace avec plus de parcimonie que de célérité, manière de gagner en temps. La troisième tare dont on est frappé cet oiseau est son inefficience ; une hirondelle ne fait pas le printemps ; il y a de grandes réserves à émettre sur un magistrat à tête chercheuse qui sélectionne ses victimes, en épargnant " les plus visiblement mouillés ". La quatrième limite de l'opération Epervier est son inefficacité : malgré les arrestations et les procès, la réalité ne change pas : la grande corruption continue de sévir et les signes visibles d'enrichissement illicite abondent continuellement dans la rue sous la forme de voitures de luxe et de châteaux à nul autre pareils. Le résultat est nul. Pire, les procès, longs et interminables, ont produit l'inverse de ce qu'ils étaient censés engendrer : des dépenses énormes et toujours pas de recouvrement des bien volés.
Happy end
Cela dit, il est surtout question de souligner que les observateurs des plus lucides vont forcement tempérer leur allégresse. Les contes qui peuplent notre imaginaire d'écoliers finissent tous de la même manière : " Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. " Dans le contexte actuel, en se référant à Polycarpe et ses compagnons, il est conseillé d'établir l'analogie en disant : " Les vampires furent arrêtés et passèrent beaucoup de temps en prison. " Or pour que la fin du conte de l'Opération Epervier soit la plus heureuse possible, il faut qu'on parvienne à la conclure par une boutade plus porteuse d'avenir : " Les vampires furent arrêtés et leurs butins rétrocédés. "
Maurice Simo Djom,
Doctorant, Université de Yaoundé I
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :