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Publié par Delphine E. Fouda

        Enoh Meyomesse, 09/09/2008. Au mois de mai 1962, quatre députés ayant publié une lettre ouverte à l’intention du président de la République, tombent sous le coup de l’ordonnance du mois de mars. Ils purgeront, chacun, une peine de prison de cinq ans. Il s’agit d’André-Marie Mbida, Charles Okala, Marcel Eyidi Bebey et Théodore Mayi Matip. André-Marie Mbida sortira aveugle de prison. Marcel Eyidi Bebey, en sortira malade, et mourra quelques mois après.

     Le 1er septembre 1966, la nuit du parti unique s’est installée sur le Cameroun. Elle durera vingt-quatre longues et terribles années. Au cours de celles-ci, les Camerounais vont vivre dans la peur, la délation, le mouchardage. La police est présente partout. Les chauffeurs de taxi, les coiffeurs, les bayam-sellam, les barmen, les savetiers, un nombre incalculable de gens sont utilisés par la police comme indicateurs. Les ambassades du Cameroun à l’étranger ne sont pas épargnées. Elles se retrouvent truffées de policiers, et se transforment ainsi en véritables nids d’espions chargés de traquer les Camerounais à l’étranger. Les délégations sportives du Cameroun, hors des frontières nationales, ne sont pas non plus épargnées, dans chacune d’elles, se trouvent un, deux, parfois trois agents du Cener, pour s’assurer que les sportifs ne seront pas contactés par les exilés politiques. Lorsque Cameroon Airlines verra le jour, la moitié des hôtesses émarge au Cener, et écoute les conversations des passagers. Dans les églises et les temples, les agents du Cener suivent attentivement les prêches des ministres du culte, à la recherche de quelque propos « subversif ». Les services de police se dotent d’un mot d’ordre surprenant : « tout citoyen est par avance suspect ». Bref, les Camerounais se rendent compte que l’indépendance qu’ils ont acquise le 1er janvier 1960, n’a nullement signifié, pour eux, la liberté. La déception est grande…

     Face à la communauté anglophone, la désillusion est également monumentale. En effet, les ressortissants de celle-ci se plaignent de n’être confinés qu’aux seconds rôles, dans cette réunification qui s’est produite le 1er octobre 1961, et dont ils espéraient tant. La désillusion anglophone s’est encore plus accentuée, en 1972, lorsque, pour les besoins de l’économie française, Paris avait décidé d’entreprendre l’exploitation du pétrole camerounais. Or, celui-ci se trouvant au Cameroun occidental, il redoutait de devoir affronter une tentative de sécession, à la biafraise, au Cameroun, l’exploitation du pétrole pouvant donner des idées aux Anglophones. Une seule solution, mettre fin à ces histoires de fédéralisme au  Cameroun, et centraliser à la fois l’Etat et le pouvoir. Ahmadou Ahidjo est donc convoqué à Paris, où il reçoit l’ordre d’abolir l’Etat fédéral et de passer à l’Etat unitaire. De retour au Cameroun, il s’exécute avec empressement. Il est organisé, au pas de course, un référendum au cours duquel les seuls bulletins présents dans les bureaux de vote sont le « oui » et le « yes ». Il n’existe pas de bulletin avec la mention « non » ou « no ». Ce sera ce que l’histoire du Cameroun retiendra sous l’appellation de « Révolution pacifique du 20 mai 1972 ».

     Ahmadou Ahidjo provoquera encore une fois de plus, sept années plus tard, en 1979, le courroux de la communauté anglophone, toujours sur ordre de Paris, avec la désignation du Premier ministre, Paul Biya, comme dauphin constitutionnel, à la place du président de l’Assemblée Nationale, Solomon Tandeng Muna. La colère, outre-Mungo, à la suite de cette décision, est sans borne. Nombreuses sont alors les voix qui s’élèvent pour crier à la duperie des francophones, dans cette réunification. A n’en pas douter, ces deux faits constituent le point de départ du désir de sécession qui habite de nombreux Camerounais anglophones, à ce jour, et qui s’est cristallisé dans le création de la Southern Cameroon National Council, SCNC.

     Les Camerounais, anglophones comme francophones, ont toutefois une consolation sous ce régime. Le chômage des diplômés est pratiquement inexistant. Et, lorsqu’il commence à vouloir se faire sentir, Ahmadou Ahidjo réagit promptement. Il se met à créer de nombreuses entreprises pour offrir du travail aux Camerounais. Mais, ce faisant, il commet une maladresse monumentale. Il ne se rend pas compte que l’essence d’une entreprise n’est pas de résoudre le problème du chômage. Non. Une entreprise fonctionne pour produire de l’argent, donc, faire des bénéfices. Ahmadou Ahidjo ne le comprend pas très bien. Son raisonnement est beaucoup trop politique, et très peu économique.

     Dans les entreprises qu’il crée, les salaires sont particulièrement élevés. Les employés y gagnent parfois le quintuple de ce que, avec le même niveau de qualification, ils auraient gagné dans la fonction publique. Du coup, les fonctionnaires se mettent déserter les ministères pour le secteur parapublic, attirés par les hauts salaires qui y sont payés. Dans le même temps, ces entreprises pratiquent une politique de recrutement massif de personnel, pour résorber le chômage, et se retrouvent, toutes, avec des effectifs pléthoriques. Et, ce qui devait arriver, arriva. Elles se sont rapidement retrouvées confrontées à des masses salariales impressionnantes, sans aucun rapport avec leur productivité, encore moins leurs chiffres d’affaires. La plupart, à peines créées, étaient déjà en situation de faillite, face à la masse injustifiée d’employés, et devaient, purement et simplement, être fermées, ou alors, elles devaient procéder à des licenciements massifs. Que faire ?

     Ahmadou Ahidjo choisit alors, ni de les fermer, ni de les autoriser à procéder à des compressions de personnel, mais plutôt de les subventionner, de peur de jeter dans la rue, d’innombrables chefs de familles. Il se tourne vers le budget de l’Etat, et alloue,  annuellement, ainsi, à qui, 200 millions, à qui, 500 millions, à qui 400 millions, pour pouvoir payer les employés, et ne pas fermer boutique. Le Cameroun se retrouve de cette manière avec une économie artificielle, caractérisées par un secteur parapublic sous perfusion. Au moment où Ahmadou Ahidjo quitte le pouvoir, certaines des entreprises qu’il a créées, ne peuvent même plus fonctionner, l’espace d’un seul trimestre, avec leurs propres recettes. Elles ne survivent plus pratiquement que grâce à l’argent de l’Etat.

     Mais, pour le commun des Camerounais, ces subtilités de l’économie sont trop compliquées, et, en conséquence, n’ont aucune importance. Ce qui compte, pour eux, c’est que la plupart d’entre eux bénéficient d’un emploi. Sur ce plan, au moins, la population est satisfaite. 

 A suivre...

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