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Publié par Delphine E. Fouda

  Ngono Alain Blaise, Président de l’ADDEC, paru sur www.camer.be, 29/09/2008. L’ADDEC, une association estudiantine qui défend les droits des étudiants des universités camerounaises vient de prendre position  dans une correspondance adressée au ministre de l’enseignement supérieur et parvenue à la rédaction de Camer.be  ce jour, contre le statut de l'étudiant camerounais publie par le MINESUP. Eu égard au caractère « inadmissible » de ce texte en ceci qu'il constitue non seulement une hypothèque sur les acquis démocratiques obtenus de haute lutte par la communauté universitaire mais aussi il ne prend en compte aucune des espérances et des revendications estudiantines depuis une décennie. L’intégralité de la correspondance
 
Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur; La communauté universitaire a pris connaissance, par voie de communiqué, de votre arrêté N° 08/0249/MINESUP du 11 Septembre 2008 portant « Statut commun des étudiants des Institutions Universitaires Publiques du Cameroun ».

Comme l’on sait, Monsieur le Ministre, la promulgation (ou la signature) d’un statut de l’étudiant est une vielle revendication estudiantine, antérieure à la naissance même de l’ADDEC bien que réactualiser par elle. Il était donc attendu depuis quelques années déjà par toute la communauté estudiantine ; mais loin de satisfaire nos attentes, votre arrêté cité en référence a plutôt eu pour effet de provoquer tour à tour curiosité, étonnement, colère et dédain.

Curiosité et étonnement

La curiosité et l’étonnement qui ont frappé la grande majorité des étudiants qui ont parcouru votre arrêté provenaient du fait qu’ils savaient que vous n’étiez pas compétents pour signer un statut destiné à la communauté estudiantine. Voyez-vous, Monsieur le Ministre, le texte portant statut commun d’une corporation civile ou d’un groupe social tel que la communauté estudiantine est sensé contenir un ensemble de dispositions juridiques et administratives régissant le fonctionnement de ce groupe, précisant ses prérogatives et ses avantages, reconnaissant ses droits et ses devoirs au sein de la communauté nationale. Or, bon nombre de prérogatives, d’avantages et de droits auxquels l’étudiant camerounais aspire légitimement (et qui sont reconnus à ces fonctionnaires de l’intelligence dans la quasi-totalité des pays sérieux de la planète), bon nombre de ces prérogatives, disions nous, embrassent des domaines de la vie sociale dont la gouvernance ne relève pas de vos compétences et attributions de Ministre de l’Enseignement Supérieur et appelle, de ce fait, l’intervention du chef de l’Etat ou du Chef du Gouvernement, tout au moins. Il en est ainsi des questions liées à l’accès aux lieux de culture tels que les Bibliothèques, les centres culturels, les musées et d’autres lieux de mémoire.

Il en est ainsi aussi de la mise en place éventuelle d’un système de financement et d’appui à la recherche qui, comme l’on sait est fort coûteuse, mais dont l’intérêt pour le développement d’une nation impose qu’elle bénéficie des subventions de l’Etat. Il en est encore ainsi, Monsieur le Ministre, des questions liées à l’accès à un logement sain et propice à la vie de l’esprit, de l’épineux problème des facilités de transports, de l’assurance maladie, de l’accès à l’emploi, etc. La liste n’a pas la prétention d’être exhaustive.

C’est ici, Monsieur le Ministre, quelques unes des questions qui doivent être réglées pour garantir à toute communauté estudiantine des conditions propices au développement de la science et au progrès de la culture. C’est ici quelques unes des attentes auxquelles est appelé à répondre un statut de l’étudiant. Or vous conviendrez avec nous que la prise de décisions sur de telles questions dépasse vos prérogatives et vos compétences de seul Ministre de l’Enseignement Supérieur. C’est donc aussi la raison pour laquelle l’intelligence et le bon sens que nous vous supposons commandent que vous conveniez avec nous de ce que vous n’êtes pas compétent pour prendre et faire appliquer de telles mesures. Non ! Vous n’avez pas qualité, Monsieur le Ministre, pour signer le statut que l’étudiant camerounais attend.  

A défaut d’être promulgué comme loi, à la suite d’une adoption par le parlement, un statut destiné aux étudiants camerounais ne peut être qu’un décret, signé du président de la république ou, à la rigueur, du chef du gouvernement. C’est d’ailleurs ce que vous reconnaissiez implicitement vous-même, lors des négociations avec le gouvernement pour une sortie de crise, pendant la grève estudiantine généralisée d’avril-mai 2005, lorsque vous estimiez que le statut de l’étudiant posait « un problème politique » que vous ne souhaitiez pas aborder. Force est donc de constater qu’en signant un arrêté portant « Statut commun des étudiants des Institutions Universitaires Publiques du Cameroun », vous êtes, Monsieur le Ministre, de plein pieds dans l’imposture.

C’est précisément ce manque de pudeur, cette prétention, cette tentative d’usurpation de titres – bref ce vice de procédure grave - qui expliquent la curiosité et l’étonnement dont nous parlions tantôt.  

Colère

C’est en parcourant (même distraitement) votre « arrêté » que la stupéfaction laisse place à la colère. Ce « statut » porte en effet les linéaments de cet autoritarisme, si caractéristique des régimes politiques des sociétés bloquées. Résolument tourné vers la coercition, votre document ne cède sur aucune des espérances légitimes de la communauté estudiantine que nous avons résumé ci-dessus. Il choque par l’absence de toute franchise et de toute mesure visant à concéder quelque avantage social aux étudiants. Il révolte par le fait qu’il tente plutôt de conforter l’embrigadement de l’université, foisonne de sanctions et de mises en garde, submerge la conscience des étudiants de dispositions liberticides et répressives tout en  recommandant implicitement la déférence et l’allégeance inconditionnelle à l’égard des autorités universitaires.

L’alinéa 2 de l’article 10 en est un morceau choisi parmi tant d’autres: « Adhérer à une association d’étudiants agréée par le chef de l’institution universitaire ». Le Cameroun a accédé à l’indépendance à peu près au même moment que des pays tels que le Ghana, la Cote d’Ivoire, le Nigeria ou le Sénégal. Dans tous ces pays, des syndicats d’étudiants autonomes et fort représentatifs des masses fonctionnent normalement. Beaucoup sont affiliés à des regroupements continentaux et internationaux d’étudiants et nul ne leur demande, pour exister, de faire allégeance ou de rendre un culte à quelque idole politique ou intellectuelle que ce soit. Dans notre pays qui était pourtant déjà la tête de proue des sociétés progressistes du continent dès l’époque coloniale, quelques politiciens-fossiles, nostalgiques de la brutalité propre au colonialisme et aux « Nérons noirs » de l’époque du parti unique, continuent de se tromper d’époque. Ils prétendent ainsi, en plein XXIème siècle, détenir le monopole de la production de la vérité dans nos campus, assimilant ainsi l’Université à une institution théologique. Ceci pour mieux embourber notre pays dans la médiocrité et se donner à voir, au reste du monde, comme une société qui ne veut ni se prendre en charge ni se donner un destin à la hauteur des enjeux de l’heure.

C’est hélas cette absence de vision et de hauteur que trahit, Monsieur le Ministre, votre « statut des étudiants ». C’est cette absence de vision et de hauteur qui vous amène à n’inscrire votre rôle d’autorité de tutelle que dans la logique du régisseur qui, dans la plantation, devait en permanence « surveiller et punir » ses esclaves. C’est dans cette logique que vous estimez devoir choisir pour nous les « bonnes associations » auxquelles nous devons adhérer, parce que constituées, contrôlées et travaillant pour le compte de l’administration universitaire dont les intérêts sont pourtant loin de coïncider avec ceux de la grande masse des étudiants, dans le contexte de corruption et de privatisation des prérogatives de l’Etat que l’on sait.

Mais quand comprendrez vous donc enfin, Monsieur le ministre, que l’étudiant n’existe pas que pour obéir et suivre, qu’il a aussi le devoir d’interroger, examiner, vérifier, délibérer et choisir librement, en connaissance de cause ? C’est pour cette raison que nous trouvons votre texte franchement rétrograde. Les étudiants ont la liberté - martelons-le - de se constituer en association à même de représenter et de défendre leurs aspirations légitimes. Votre « Statut des étudiants » que nous rejetons pour ne pas cautionner l’imposture et l’usurpation n’y fera rien. Pour le reste, n’ayez crainte, Monsieur le Ministre, la communauté estudiantine se passera bien de cet « arrêté » qui ne lui apporte rien, sinon une insulte de trop. Car une fois extirper les injonctions peu élégantes que nous venons d’évoquer, que reste-t-il de ce « statut de l’étudiant », Monsieur le Ministre ? Rien d’autre qu’une compilation de dispositions et d’articles textuellement et malhonnêtement tirés de quelques textes précédemment signé par le Président de la République : notamment la Loi N° 005 du 16 avril 2001 portant Orientation de l’Enseignement Supérieur ; le Décret présidentiel N° 93/027 du 19 janvier 1993 portant Dispositions Communes aux Université et le Décret N° 93/032 fixant le régime financier applicable  aux universités. Cet arrêté écoeurant que vous avez commis n’est donc qu’une plate compilation d’autres textes dont vous n’avez retenu au demeurant que les côtés les plus ténébreux. Grossier plagiat donc!

Et si ce texte que vous auriez été bien inspiré de ne pas signer méritait encore que l’on s’y attarde, l’on s’étonnerait aussi de constater qu’il n’intègre pas les étudiants des institutions universitaires privées, alors que c’est bien vous qui délivrez à tour de bras des agréments à toutes ces institutions qui foisonnent. Pourquoi donc cet apartheid, Monsieur le Ministre ?

Ce que les étudiants attendent, Monsieur le Ministre, c’est un texte qui précise par exemple l’esprit du décret présidentiel N° 93/033 du 19 janvier 1993 fixant les taux de payement des droits universitaire et consacre l’assurance maladie ; décret foulé aux pieds par de nombreux chefs des établissements universitaire qui ne tarissent pas de mesquineries pour renchérir les taux des droits universitaire et voler aux pauvres. Sans honte aucune. Les étudiants attendent un texte qui leur octroierait des tarifs préférentiels dans les transports en commun (ce qui rendrait le calvaire des interminables voyages en train des étudiants de Ngaoundéré moins frustrant). La communauté estudiantine attend aussi des tarifs préférentiels pour l’accès au soins médicaux d’urgence tout au moins, l’accès gratuit aux stages académiques, la reconnaissance de la nécessite d’un syndicat national étudiants, la consécration d’une journée de l’étudiant camerounais, en la mémoire des étudiants abattus ignominieusement dans les campus ces dernières années. Le statut que nous demandons, Monsieur le Ministre, devrait réitérer l’égalité d’accès aux institutions universitaires et aux Grandes Ecoles, en prévoyant des voies de recours contre toutes les formes de corruption administrative, de mauvaise gouvernance et d’entorse a la méritocratie ; en instituant des modalités d’octroi des bourses académiques. Le statut que nous attendons devrait en somme garantir l’accès effectif aux droits fondamentaux que sont : l’éducation (de qualité dans des universités qui ont des amphis, des bibliothèques et des laboratoires), le logement décent, la santé, la liberté d’expression et d’association. Et comme nous l’avons déjà dit, la signature d’un tel Statut, le vrai, dépasse vos compétences. Et que nous sachions, personne ne vous a reproché jusqu’à présent de ne pas être Président de la République ni Chef du gouvernement.

Dédain

Comment faut-il donc comprendre votre maladresse, Monsieur le Ministre ? Ses ressorts sont probablement à rechercher dans les intentions et les buts que vise votre initiative. Il est aisé de constater que dans le contenu de votre texte, vous écartez systématiquement les nombreuses propositions faites par les leaders étudiants - y compris l’ADDEC - et les enseignants des universités publiques et privées  depuis une décennie. Non seulement vous manquez par là l’occasion de poser un acte qui vous aurait permis d’infléchir positivement la marche de l’université camerounaise, mais en plus vous trahissez vos véritables intentions qui sont en fait d’empêcher l’émergence d’une instance fédératrice de l’ensemble de la communauté estudiantine nationale et de remettre en cause la légitimité des mouvements qui, comme l’ADDEC, se vouent à la défense des intérêts des étudiants et dénoncent les forfaitures qui émaillent le fonctionnement des Universités camerounaises. C’est cette volonté de nuire à l’intérêt collectif, cette aversion pour la vertu et le mépris pour la vie qui en résulte qui, finalement, ne nous inspire que du dédain.

Votre bilan  a la tête du ministère de l’Enseignement Supérieur, lourdement entaché par les assassinats restés impunis de cinq étudiants à Buéa par les forces de l’ordre, des exclusions arbitraires d’étudiants des universités d’Etat, la condamnation d’une quinzaine d’autres à des années d’emprisonnement avec sursis, les tortures répétées, subies par certains leaders dans les commissariats les postes de gendarmerie, la résurgence des milices dans les universités et les ignobles opérations de tripatouillage des résultats des concours d’entrée dans les Grandes Ecoles, ce bilan peu enviable, disions-nous, plaidait déjà contre vous. Loin d’illuminer un ciel si obscur au dessus de vous, ne fut-ce que pour sauver les apparences, vous avez hélas choisi de persister dans la regrettable voie de la déréliction.

Les étudiants sont donc plus que choqués du fait qu’en signant votre vrai faux « statut », loin d’œuvrer pour la mise en place de vraies franchises universitaires, vous ayez fait peser, sur leurs acquis obtenus de hautes luttes, une grave hypothèque – une de trop.

Compte tenu de ce qui précède, l’ADDEC

Dénonce le monument d’imposture que constitue ce document pompeusement affublé du titre de « Statut commun des étudiants » et n’insiste pas sur son inapplicabilité parce que mort-né.

Réaffirme, au nom des la communauté estudiantine, que la tentation fasciste qui vous pousse à emboîter le pas à votre collègue de la communication, désormais tristement célèbre par ses mesures de musellement de la presse, n’entravera en aucun cas le cours de l’histoire.

Réitère que la liberté, la justice  et le bien être auxquelles aspirent les étudiants – les vivants, tout comme nos camarades abattus par les forces de l’ordre - ne seront jamais compromis par des actions répressives de quelques autorités manifestement mues par le désir de bloquer l’évolution de l’institution universitaire au Cameroun.            

Compte tenu des motivations sans doute malsaines qui ont présidées à la signature de votre arrêté et des dommages moraux que ce dernier a causé aux étudiants, souffrez, Monsieur le Ministre, que nous nous abstenions de vous adresser les civilités d’usage, requises en fin de correspondance.

Pour le Président et Par Ordre, le Vice Président BENANG André

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