CAMEROUN - INSÉCURITÉ:La terreur comme moyen de soumission des populations
Delphine E. Fouda & Ndzana Seme, www.africanindependent.com, 30/11/2008.
Alors que de nombreuses interrogations suscitent le débat sur la recrudescence de l’insécurité au Cameroun, et que le doute commence à gagner meme des députés du RDPC,
il revient aux témoins de l’histoire contemporaine que nous sommes de relever les accointances maffieuses et occultes qui honorent le régime de Paul Biya. L’enquête sur
l’assassinat en 1996 du Dr Thimoté Olinga lié au scandaleux dossier de privatisation de la Sodecoton fut, comme pour les multiples autres meurtres, enterrée par Paul Biya. De meme en fut-il des
dossiers d’assassinats de Joseph Mbassi, Me Ngongo-Ottou, le Pr Etoundi Essoumba et bien d’autres. Depuis les assassinats et la formation des milices ethniques terroristes par Omgba Damase en
début des années 1990 jusqu’aux milices actuelles dirigées par des officiers des forces armées régnant tout aussi par la terreur, le régime de Paul Barthélemy Biya montre qu’il ne peut pas se
séparer de la terreur comme moyen de soumission des populations camerounaises et de maintien au pouvoir.
Les multiples assassinats perpétrés sous le ciel camerounais et dont les enquêtes
n’ont jamais abouti ont trouvé un bouc émissaire : la poussée du grand banditisme. Un fléau qui comme la corruption, continue de prospérer en toute impunité. Ne peut-on pas voir au travers de ces
crimes crapuleux, une stratégie volontairement cynique de soumettre un peuple au silence ?
Il devient donc légitime de s’interroger sur le contexte d’insécurité actuelle qui permet à fortiori aux ténors du régime d’éliminer ceux qui font obstacle à leurs manœuvres démoniaques. Sinon,
comment comprendre que les circonstances de ces morts en silence soient restées aussi bien labyrinthiques qu’accusatrices?
Mi-mai 1996, un médecin est étranglé à son domicile à Yaoundé, au quartier Tsinga, plus précisément au lieu dit Montée Supermont, par des jeunes gens cagoulés et armés, qui s’étaient introduits
nuitamment à son domicile. Les malfaiteurs avaient alors demandé où se trouvait le fils et le père réticent ne leur avait fourni aucun renseignement. Ceci ne plut guère aux brigands, qui
ligotèrent l’épouse du médecin et étranglèrent le docteur devant celle-ci, à l’aide d’un lasso (une corde utilisée pour enlacer les bêtes). Puis, déterminés à le martyriser, ils l’égorgèrent
comme un agneau.
Ce meurtre, méconnu par une société déjà trop encline à croire aux balivernes dictées par ses dirigeants du régime Biya sur la question de l’insécurité, aura tôt fait de disparaître dans les
tiroirs de la police judiciaire.
Or le Dr Olinga Thimothée, puisqu’il s’agit bien de lui, était ce que l’on appelle communément ‘’un sauveur de vies.’’ Son assassinat, lié au scandaleux dossier de rachat à travers la
privatisation de la Société de développement du coton (Sodecoton) par la Société mobilière d’investissement du Cameroun (Smic), mérite tout au moins que l’on y jette un regard rétrospectif.
Biya, la Smic et
le crime organisé
En 1994, la Smic , une structure privée regroupant en son sein des
personnalités du grand Nord tel l’ex- premier ministre Sadou Hayatou ainsi que de grands barons du RDPC(parti au pouvoir) parmi lesquels des amis privilégiés de Paul Biya, s’était
insidieusement accaparée de 48% du capital de la Sodecoton. Un hold-up qui avait été validé par Simon Achidi Achu alors premier ministre et Paul Biya, ce dernier tenant lui-même à protéger la
Smic.
Seulement , l’avocat de la Sodecoton , Roland Olinga, le fils du médecin cité ci-dessus, avait dénoncé ce plan fourbe où la Smic rachetait à 1 milliard 500 millions de nos francs les parts
que détenaient les établissements publics, dont la SNI , la CSPH et l’ONCPB. Toute chose censée, car en 1994, la Sodecoton avait réalisé un chiffre d’affaires de plus de 60 milliards de FCFA avec
de solides bénéfices. Le rachat de l’entreprise par la Smic devenait un pur bradage au profit d’un clan de maffieux.
Le ministre de l’économie et des Finances de l’époque, Justin Ndioro avait alors crié au scandale. Mais la justice camerounaise, bien enrôlée dans le tourbillon de la corruption, avait tout de
même trouvé, le 19 mars 1996, le moyen de reconnaître la Smic comme nouveau propriétaire des 48% détenus par l’Etat. Or, la Sodecoton affirmait obstinément n’avoir jamais reçu
notification des vendeurs.
Une affaire qui fit moult raffut. La sodecoton, par la voie de son avocet, était déterminée à aller jusqu’au bout. Ce que les barons de la Smic n’apprécièrent pas, car ils courraient le risque de
voir leurs agissements étalés aux yeux de tous.
C’est ainsi que l’élimination de l’avocat devint une nécessité. Ce dernier se sentant menacé et persécuté, se réfugia chez ses parents à Yaoundé en mai 1996. Le jour de l’assassinat de son père,
le jeune avocat avait jugé utile de s’en aller, suivant les conseils de son géniteur. Signe prémonitoire?
Les malfrats commandités vinrent le soir même. Pour punir le fils absent, ils tuèrent le père, propriétaire de la clinique Ntsama Etoundi. Le Dr Olinga était de cette trempe d’hommes intègres et
honnêtes dont l’idéal est de voler au secours de ceux qui souffrent. Il connaissait, lui aussi, le cancer qui rongeait le Cameroun de l’intérieur. C’est pourquoi il s’était refusé à rentrer dans
la danse de ces intellectuels avilis aux appétences voraces.
Un homme dont le souvenir reste vivace ; nous l’avions rencontré la dernière fois la veille de son assassinat, pour des raisons médicales. Se sentant menacé, il nous fît part de ses inquiétudes.
Il nous donna rendez-vous le lendemain matin pour de nouveaux soins. Hélas, nous le retrouverons gisant sans vie dans une mare de sang. Du sang de martyr !
Un contexte
d’insécurité qui arrange le pouvoir
Le fait sus cité est un cas parmi tant d’autres. Tuer pour réduire au silence est,
pour les alligators du régime sanguinaire de Paul Biya, une pratique devenue légendaire.
Le Cameroun est un pays où, tel que le disait si bien Jean Marc Ela au cours d’une neuvaine à la mémoire du père Engelberg Mveng assassiné pour des raisons obscures, les dirigeants « ne
respectent plus rien, ni les personnes, ni les biens, ni les institutions, ni la vie elle-même ».
Bien qu’il ne soit pas possible de disposer de données statistiques sur l’insécurité du Cameroun, on peut tout de même se permettre de souligner qu’au fil des ans la grande criminalité a connu
une prospérité foudroyante.
En octobre 2006, Jean Baptiste Bokam promettait de « mener la vie dure aux délinquants. » Le secrétaire d’Etat à la Défense chargé de la gendarmerie nationale, semblait oublier qu’on ne jette pas
la Pierre là où on a caché son trésor.
Deux ans plus tard, “le Cameroun se trouve de plus en plus dans l’étau d’une insécurité rampante. Les agressions, à domicile, dans la rue ou sur des grands axes routiers, font désormais partie du
quotidien des citoyens ordinaires’’, écrivait le confrère Le Messager le 21 novembre dernier.
La croissance des bandes armées au Cameroun ne serait-elle pas un discours de certaines pontes du régime en réponse autant à Paul Biya, qui avait en 1987 secrètement importé des armes pour 150
milliards de FCFA, aussitôt évanouis au sein du Cameroun sans entrer dans l’inventaire de l’armée, qu’au général René Meka, qui avait tout aussi fait disparaître des armes en 2001 lors de
la fameuse explosion de la poudrière?
L’on se souvient encore que le regreté directeur de publication du mensuel catholique, l’abbé Joseph Mbassi, avait lors d’une visite Ad Luminum en 1987 au Vatican reçu d’une source les dossiers
d’information sur deux Camerounais qui avaient, au nom de Paul Biya, commandé des armes pour 150 milliards de FCFA auprès d’une compagnie française d’armement. La DST française les avait dirigés
pour livraison en Grande Bretagne, où ils avaient effectué l’embarquement en usant de faux documents.
L’abbé Joseph Mbassi avait tenu Me Ngongo, l’un des premiers opposants idéologiques de Paul Biya, au courant de l’affaire. Omgba Damase, à l’aide de tueurs professionnels français, avait fait
assassiner autant Joseph Mbassi que Me Ngongo-Ottou.
Deux ans après, le dernier témoin attendu à la barre dans l’affaire de l’assassinat de Me Ngongo-Ottou, à savoir le médecin professeur Etoundi Essomba Prosper, fut tout aussi assassiné.
Milices privées:
de celles d’Omgba Damase à celles des officiers
L’une des raisons qui pourrait justifier la recrudescence du fléau de la terreur est
la ramification des commandos armés, dont on se sert pour de sales besognes. De son vivant, Amougou Noma Nicolas, ancien délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de
Yaoundé, ex-premier vice- président de l’Assemblée nationale, était désigné comme patron d’une ‘’milice privée.’’
L’individu Amougou Noma était pourtant connu pour son sinistre rôle dans
l’assassinat en 1988 de Me Antoine Ngongo Ottou. Complice et représentant de son amant homosexuel Omgba Damase, que Paul Biya avait chargé de tuer le célèbre avocat, il s’occupa à épier la
famille du défunt jusqu’en France afin de “protéger le corps” comme Biya l’avait ordonné à Denis Ekani, DGSN de l’époque.
Quand le même Omgba Damase organisait depuis 1990 les milices terroristes Beti, Amougou Noma et bien d’autres “elites” Beti trônant aujourd’hui à la tête de la communauté urbaine de Yaoundé et au
gouvernement furent très actifs dans le rôle de recrutement et de distribution des armes de guerre aux jeunes de familles Beti pauvres.
Reconnu comme un proche de Paul Biya pour ses relations idylliques avec la famille présidentielle, Amougou Noma fut l’un des administrateurs de la société Patrice Bois, une entreprise du
secteur forestier dont l’actionnaire principal est Franck Emmanuel Biya, plusieurs fois accusée par les Ongs internationales de défense de la nature de piller les forêts camerounaises.
Combattre la grande criminalité au Cameroun reviendrait à se désolidariser de ces gangs nourris, armés et entretenus qui, en contre partie des missions crapuleuses, demandent la liberté
d’opérer à leur propre compte. Or les kleptocrates de la République sont-ils prêts à un tel sacrifice ? A vous d’en juger.
Il n’est point besoin de noter que, pour une efficacité des opérations criminelles, la collaboration de quelques fripons de l’armée camerounaise et des forces de l’ordre est requise. Raison pour
laquelle ces hommes en tenue sont montrés du doigt.
Au mois de septembre 2007, nous apprenions de La Nouvelle Expression que, parmi les trois individus appréhendés à Yaoundé au domicile de Mgr Antonio Ariotti, le Nonce apostolique, un gendarme en
service à Bafoussam et un policier en fonction à Ebolowa avaient été identifiés. L’autre malfrat était quant à lui un chef de gang bien connu.
En 1999, dans sa livraison du 11 Août, La Nouvelle Expression révélait que les autorités françaises au Cameroun étaient informées d’un réseau de braquage de véhicules de luxe à Yaoundé dont
faisaient partie des officiers supérieurs de l’armée de notre pays. La présidence de la République en était informée, mais de toute évidence a opté pour un silence complice.
Tous ces faits traduisent en réalité une volonté machiavélique d’un système qui soumet les populations par une domination accrue. Il faut donc reconnaître que les forces armées du Cameroun, qui
tuent et massacrent des jeunes dans la rue, ne peuvent pas voler au secours d’un peuple en détresse. De nombreuses tentatives d’assassinat, bien souvent déguisés en accidents de voitures et des
agressions dans la rue ou à domicile, sont classés sans suite pour protéger les commanditaires. Mgr Victor Tonye Bakot, archevêque de Yaoundé ne le démentirait pas.