Cameroun: Des jeunes condamnent le discours de Paul Biya à la jeunesse
Addec in Icicemac,13 /02/2009.Suite à votre discours du 10 février dernier et à l’occasion de cette 43e édition de la fête nationale de la jeunesse, moment solennel où la nation camerounaise toute entière, se projetant et pensant elle-même son propre devenir, reconnaît l’importance des nouvelles générations dans la poursuite du projet de construction de notre identité commune, toujours inachevée et à parfaire, l’Association pour la Défense des Droits des Etudiants du Cameroun (ADDEC) s’est sentie le devoir de vous interpeller sur un certain nombre de questions liées à votre gestion des valeurs telles que l’intelligence, la compétence, l’égalité des chances pour tous, mais aussi à la gestion de la diversité ethnique et des identités régionales. Des questions graves du fait qu’elles hypothèquent la cohésion de notre jeune nation.
A Monsieur le Président
de la République du Cameroun
Objet : Sacrifice des valeurs patriotiques et péril sur la Nation.
Monsieur le Président,
Suite à votre discours du 10 février dernier et à l’occasion de cette 43e édition de la fête nationale de la jeunesse, moment solennel où la nation camerounaise toute entière, se projetant et pensant elle-même son propre devenir, reconnaît l’importance des nouvelles générations dans la poursuite du projet de construction de notre identité commune, toujours inachevée et à parfaire, l’Association pour la Défense des Droits des Etudiants du Cameroun (ADDEC) s’est sentie le devoir de vous interpeller sur un certain nombre de questions liées à votre gestion des valeurs telles que l’intelligence, la compétence, l’égalité des chances pour tous, mais aussi à la gestion de la diversité ethnique et des identités régionales. Des questions graves du fait qu’elles hypothèquent la cohésion de notre jeune nation.
Alors que dans votre adresse à la jeunesse camerounaise vous appelez cette dernière à « l’acquisition de valeurs patriotiques et démocratiques », notre association n’a pu s’empêcher de se faire le porte voix, devant la communauté nationale et devant l’histoire, d’une frange importante de cette jeunesse – prise de consternation et frappée de stupeur – face aux périls qui désormais menacent l’existence de notre nation, du fait de vos tendances de plus en plus prononcées à l’érection de l’appartenance ethnique et régionale en critère prédominant d’allocation des ressources nationales, de rétribution et de sélection y compris dans les domaines requérant exclusivement la compétence managériale ou intellectuelle.
Tout comme vous, Monsieur le Président, nous sommes attachés aux « valeurs patriotiques et démocratiques ». Mais l’incompréhension et l’indignation – les nôtres et celles qui constituent peut-être le nœud gordien du contentieux que la jeunesse camerounaise entretient avec vous - naissent du contraste entre vos discours moralisateurs sur la « défense de l’intérêt supérieur de la nation », la « primauté du mérite et de la compétence » ou encore « l’égalité des chances pour tous », d’une part, et d’autre part la réalité d’une politique qui, chaque jour, nous semble sacrifier ces mêmes valeurs à travers des pratiques vicieuses aux mobiles scabreux. Le népotisme, le laxisme, l’impunité, mais surtout le contentement des replis identitaires participent de telles pratiques politiques.
Le sacrifice du mérite et de la compétence sur l’autel des considérations ethno régionales n’est certes pas une pratique nouvelle dans votre mode de gouvernement, mais c’est avec l’affaire de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Maroua (que vous évoquiez d’ailleurs dans votre discours sur un air d’autosatisfaction) que l’on a récemment franchi la ligne rouge.
En vue de l’ouverture de cette école nouvellement créée, environ 40 000 demandes d’admission avaient été enregistrées au Ministère de l’Enseignement Supérieur. 2 200 d’entre elles avaient alors été retenues après étude de dossier. Ces résultats ont curieusement donné lieu à une vive contestation des députés issus des trois régions septentrionales du pays, qui ont estimé que le pourcentage des « ressortissants du Grand Nord » (30.09%, soit 662 candidats) admis à l’ENS de Maroua était négligeable et donc inacceptable. De leur point de vue, le « Grand Nord », du simple fait qu’il abrite cette institution, méritait de compter un minimum de 60% de ses ressortissants parmi les admis.
Alors qu’on se serait attendu à ce que, en tant que Chef de l’Etat et garant de l’Unité de la Nation toute entière, vous blâmiez une telle dérive régionaliste en rappelant les « valeurs [républicaines] patriotiques et démocratiques », vous avez choisi, vous aussi, de céder à la tentation ethnocentriste en accédant aux demandes de ces députés du village et en prescrivant au bout du compte l’admission de la totalité (100%) des « ressortissants du Grand Nord » qui avaient frappé aux portes de l’ENS de Maroua. Soit 4952 candidats, en plus des 662 régulièrement admis. 4952 individus – tous issus du « Grand Nord » et du seul fait de cette origine – sont donc venus s’ajouter aux 2 200 qui eux, avaient été admis du fait de leur mérite, portant le total des « lauréats » à 7 152.
Monsieur le Président,
La majorité des camerounais et la jeunesse estudiantine, tout particulièrement, s’offusquaient pourtant du fait qu’une école nationale vouée à la production d’enseignants qualifiés, et requérant de leur part compétitivité, efficacité, et compétence intellectuelle éprouvée, devienne l’objet d’un chantage aussi vil de la part d’élites villageoises en proie à l’oisiveté politique et intellectuelle, concevant de ce fait l’Etat comme une généreuse machine de distribution de strapontins cache-misère, de personnels administratifs incompétents et superflus. Votre adhésion aux vues des « élites du Grand Nord » a donc achevé de semer, dans les esprits, confusion et consternation.
Or le fait que vous soyez vous-mêmes intervenu pour donner une suite favorable aux protestations des « élites du Grand Nord » présuppose que vous les ayez tenues pour légitimes. Dès lors, l’attente de la jeunesse camerounaise était qu’à l’occasion du discours du 10 février dernier, vous expliquiez quelles « valeurs patriotiques » ou quelles conceptions des principes d’«égalité des chances », de « compétence » et de « compétitivité » (évoqués dans votre discours !) ont présidé à l’admission de la totalité des 5 614 « ressortissants du Grand Nord » qui, du seul fait de leur origine et par la magie d’une décision politique, ont été ajoutés aux 2 200 « simples » camerounais retenus quant à eux sur la base du mérite.
Mais sur ce point précis qui vous aurait conduit vous-mêmes, et pour une fois, à confronter votre discours à vos méthodes de gouvernement, l’auditoire est hélas resté sur sa faim. Comme de tradition, vous vous êtes occupé à faire vivre, dans un discours d’autosatisfaction, des statistiques ainsi qu’un train de mesures, de décisions et de réalisations sinon incantatoires, du moins inexistantes et invisibles dans le quotidien angoissant d’une génération en proie au désarroi.
La vérité et la vraie raison de votre silence, Monsieur le Président, sont que vous ne pouvez légitimement fonder le scandale politique que constitue l’introduction par effraction des « ressortissants du Grand Nord » dans la liste des candidats définitivement admis à l’ENS de Maroua sur aucune logique valable dans la gestion d’un Etat moderne ou d’une institution universitaire. Cela constitue au contraire une trahison flagrante des « valeurs patriotiques » liées à la défense de l’intérêt supérieur de la Nation et de l’égalité des chances pour tous, à la primauté de l’intérêt général, et à une répartition juste et équitable des ressources nationales.
Car l’égalité des chances renvoie en effet à l’existence de règles applicables à tous les membres d’une communauté sans distinction partisane ou régionale. La promotion de la compétence et de la compétitivité consiste à mettre les meilleurs au service de la Nation et est de ce fait gage de performance et de dynamisme. La répartition équitable des ressources participe d’une logique de justice, de cohésion et de réduction de la fracture sociale. La défense de l’intérêt supérieur de la nation et de l’intérêt général participe, quant à elle, de la confortation de l’idée d’une communauté de destin, par delà les identités primaires.
Or qu’observe-t-on avec la régionalisation de facto à l’ENS de Maroua ? L’admission de tous les « ressortissants du Grand Nord » est un acte discriminatoire et arbitraire, pris au détriment des « autres » camerounais dont la faute, manifestement, est de ne pas être « originaire » du Nord. L’admission de ces intrus est une prime à la paresse, à la médiocrité et au culte du moindre effort. Elle participe d’une logique de distribution de strapontins et de rentes de situations à quelques uns plutôt que d’une politique de redistribution saine des ressources. Plus grave encore, le syndrome de Maroua fait peser le risque d’une désintégration de la Nation , conséquence d’une éventuelle dynamique à rebours et d’une régression vers l’ethnie.
Il est donc clair, finalement, qu’en cédant aux revendications des députés du « Grand Nord », vous avez posé un acte anti-patriotique et contribué à mettre l’Unité de la Nation en péril. Car votre attitude ne peut se revendiquer d’aucune légitimité liée à l’intérêt général, ni d’aucune considération éthique. Cet acte pernicieux produit exactement les mêmes conséquences que la corruption et la tricherie que vous ratifiez ipso facto et en contradiction avec vos discours incantatoires sur la « rigueur et [la] moralisation ». Il participe de la promotion des médiocres et de la consécration de l’imposture.
Si donc ces revendications micro-identitaires sapent les fondements de la Nation et enterrent la compétence, comment expliquez que vous les ayez agréées ? Comment comprendre que vous ayez ainsi contribué, avec entrain, au brouillage des « valeurs patriotiques et démocratiques » que vous invoquiez encore dans votre discours du 10 février dernier ?
L’on entend, ici et là, invoquer la préservation des équilibres régionaux et la nécessité de freiner les tensions tribales pour tenter de justifier l’innommable. La fameuse religion de l’« équilibre régional » donc ! Et nul doute qu’il en est ainsi. Car l’on sait que ceux qui ont gouverné le Cameroun depuis l’indépendance ont travaillé à institutionnaliser l’équation tribale et à la poser comme un mode valide de redistribution et d’allocation des ressources de divers ordres. Outrepassant la sphère d’une forme de représentativité politique et gouvernementale dont la validité méritait déjà d’être rigoureusement questionnée, la logique de l’ « équilibre régional » a curieusement investi tous les domaines requerrant prioritairement l’intelligence, la compétence managériale ou l’expertise technique.
Mais peut-on sérieusement soutenir, monsieur le Président, que l’érection de la logique de l’ « équilibre régional » en mode de gouvernement soit compatible avec un seul des principes républicains que nous avons brièvement présenté ci-dessus ? Nous répondons : NON, NON, trois fois NON ! Il s’agit ni plus ni moins d’une stupidité entretenue par une élite politico-administrative intellectuellement paresseuse, adepte des solutions faciles, incapable d’anticiper, de poser et de résoudre les vrais problèmes et qui estime que l’on peut gouverner un pays aussi complexe que le notre en faisant l’économie d’une réflexion rigoureuse sur les vrais fondements du vivre ensemble.
Le cas de l’ENS de Maroua illustre bien comment est ce que par la magie de l’ « équilibre régional », le cancre peut devenir brillant et le dernier devenir premier. C’est par de telles prestidigitations que l’intelligence, les nombreux talents, l’imagination débordante et l’esprit d’initiative dont regorge la jeunesse camerounaise sont sacrifiés et consumer. En entretenant vous-même de telle pratiques, comment comptez-vous convaincre la jeunesse camerounaise que le culte de l’effort que vous l’invitez à cultiver, de même que le mérite et la compétitivité servent à quelque chose dans un pays où tout devient possible dans tous les sens ? Comment ne pas comprendre dès lors que regorgeant de richesses naturelles mais aussi humaines et intellectuelles, notre pays peine à décoller économiquement et revendique désormais une pauvreté et un endettement (PPTE) qui ne s’expliquent que par l’incapacité des nombreux « lauréats » de l’ « équilibre régional » qui nous gouvernent à créer de la valeur ajoutée, en dépit de l’immensité des ressources disponibles. Et la pauvreté de grandir elle aussi aux proportions et au rythme du principe de l’ « équilibre régional ». L’exode et l’immigration prospèrent logiquement, les jeunes n’ayant plus aucune perspective d’avenir dans un pays-cimetière des ambitions légitimes et de la compétitivité.
Monsieur le Président,
L’institutionnalisation de l’équation tribale et son érection en unique mode de gouvernement procède en effet de l’idée saugrenue selon laquelle sans la dévolution de tous les secteurs de la vie publique à une généreuse distribution des rentes, la Nation elle-même finirait par imploser, du fait des guerres de tribus et de villages qui, semble-t-il, résulteraient du « conflit du manger » qui travaille en permanence la société.
Mais loin de freiner les tensions tribales, la logique de l’« équilibre régional» hypertrophie en fait les identités ethno-régionales. Elle entretient dans l’imaginaire des Camerounais l’idée pernicieuse selon laquelle la référence ethnique occuperait une place de choix dans la hiérarchie des valeurs qui fondent le vivre ensemble. Il y a une cinquantaine d’années, Ruben Um Nyobè prévenait déjà que l’introduction des considérations ethniques et tribales dans le champ des luttes proprement politiques relevait d’un trafic vicieux qui fausse le jeu politique et transforme les ethnies en obstacle pour le progrès sociopolitique et économique du pays. En commettent cette grave « erreur politique », vous mettez les ethnies « au service d’une mauvaise cause ». En conséquence logique, le repli sur soi et le tribalisme deviennent des valeurs refuges.
Par ailleurs, il est arrivé que plusieurs Camerounais bien intentionnés succombent à la tentation d’aller fouiller dans la fange de la distribution régionale des ressources, pour la bonne cause. Leur observation minutieuse des modes de création des emplois ou d’affectation des postes dans la haute administration publique a souvent révélé un déséquilibre flagrant de la balance de redistribution régionale des ressources en faveur de certains groupes ethniques. Ainsi, l’on tribalise l’Etat et les institutions publiques dans l’acte même par lequel on prétend pratiquer l’« équilibre régional ». Ce concept baroque n’est donc qu’un alibi pour masquer la confiscation et la prise en otage de la richesse nationale par quelques lobbies. Ces derniers distribuent alors des prébendes dans l’une ou l’autre région dans le but de créer des allégeances susceptibles, en contrepartie, d’être converties en bétail électoral et de leur servir d’alliés dans leur logique de reproduction du système et de pérennisation de leur hégémonie perverse.
Votre collusion avec les députés du village issus du « Grand Nord » semble participer d’une telle logique. On se souvient en effet que la création de l’Université de Maroua résulte d’une de vos promesses électorales faites aux populations de cette région. L’on est porté à croire qu’étant resté dans la logique électorale, vous ayez sacrifié les valeurs qui fondent la Nation pour préserver une clientèle politique, en vue des prochaines échéances électorales dont on comprendrait que vous fassiez une priorité, depuis la modification constitutionnelle fortement contestée d’avril 2008.
Mais si l’on y prend garde, les conséquences de ce contentement des crispations identitaires et de cette instrumentalisation politique des identités ethno-régionales pourraient se révéler catastrophiques. Car si le ressentiment qu’une telle enflure tribale pourrait provoquer au sein des groupes lésés venait à coïncider avec une éventuelle perte du monopole de l’exercice de la violence par l’Etat, l’on aboutirait alors inéluctablement à l’implosion. Une éventualité à craindre, notamment au vu des récentes irruptions de violence dans certaines zones frontalières du pays.
La logique de l’ « équilibre régional » ainsi que les calculs politiciens qu’elle masque sont donc pour une bonne part responsables de l’enterrement du principe d’égalité des chances et de l’éclipse du futur dont la jeunesse camerounaise est aujourd’hui victime. Elle est à terme porteuse de danger de déstabilisation pour la nation camerounaise.
L’agitation des « élites du Grand Nord », quant à elle, participe de ces formes de diversion qui visent en fait à détourner le peuple des débats de fond sur les défis qui l’interpellent. L’on en arrive ainsi à dévoyer les vraies luttes, à disqualifier les combats justes et à entraîner le peuple dans des préoccupations qui diffèrent son émancipation. Il est scandaleux que des hommes politiques repus, prétendant parler au nom des populations du « Grand Nord », se révèlent à ce point incapables - par crétinisme ou par cynisme politique – de s’attaquer aux vraies causes des dysfonctionnements et des injustices qui, sur les plans politique, économique et culturel entravent l’émancipation de la grande majorité des populations du Nord, leur barrent la voie de l’excellence, de la compétitivité et les empêchent, au final, de s’intégrer dans la dynamique mondiale des hommes capables de penser par eux-mêmes et de tendre vers le bien-être par la construction d’une société juste et démocratique.
Il est étonnant que ces prétendues « élites du Nord », qui se découvrent une fibre humaniste sur le tard, n’aient jamais pensé à boycotter une seule assise de l’Assemblée Nationale pour protester contre le fait qu’après cinquante ans d’indépendance, jamais l’« équilibre régional » n’ait prévu la construction d’une route reliant le « Grand Nord » au « Grand Sud » du pays. Jamais ils n’ont manifesté la moindre indignation contre le calvaire, que constituent les conditions de voyage en train – absolument scandaleuses – entre Yaoundé et Ngaoundéré, unique voie de liaison entre le « Grand Nord » et le « Grand Sud » du pays qui, quasi quotidiennement, insultent la dignité humaine et infligent une intolérable humiliation aux Camerounais du Nord, chaque fois qu’ils doivent quitter ou rejoindre leurs terroirs respectifs.
Jamais ces « députés de la nation » ne se sont émus du fait qu’environ 65% des enfants de la rue de Douala, de Yaoundé et des autres grandes villes du pays soient « originaires du Grand Nord ».
Jamais ils n’ont marché pour dénoncer la sous scolarisation et l’insuffisance des établissements primaires dont souffrent les gens humbles du Nord. L’eau potable, les dispensaires et les hôpitaux, l’électrification rurale manquent tout aussi cruellement dans le Nord – comme dans le reste du pays. Ces députés du village n’ont jamais dénoncé l’absence d’une politique d’industrialisation ni de développement de l’agriculture qui aurait permis la création d’emplois dans cette région pour y juguler la pauvreté. Ils sont encore moins préoccupés par le nécessaire reboisement du Sahel et les bénéfices qu’une telle initiative apporterait. C’est pour toutes ces raisons qu’il nous est difficile de nous imaginer que ceux qui protestent aujourd’hui, pour un plus grand nombre de places pour les « ressortissants du Grand-Nord », soient véritablement préoccupés par le sort des populations de cette partie du pays.
Nos députés du « Grand Nord » font mine d’être sensibles à la promotion de l’enseignement supérieur, ne serait-ce que dans leur « nation ethnique du Nord ». Mais savent-ils seulement que depuis 1982, il n’y a plus eu de convocation du Conseil de l’Enseignement supérieur et de la recherche au Cameroun ? Une instance que vous présidez et qui est chargée de réfléchir sur la politique de l’enseignement supérieur au Cameroun, ainsi que sur ses missions et ses orientations.
Bien que l’on ait appris, par votre discours du 10 février, qu’il serait « fastidieux » d’énumérer les laboratoires, bibliothèques et autres amphis construits on ne sait où, les universités camerounaises que nous fréquentons, nous, souffrent toujours d’un manque criard d’infrastructures, d’une insuffisance et d’un vieillissement du personnel enseignant (officiellement 2.179 enseignants dont la moyenne d’âge est de 47ans pour 115.710 étudiants). Les bibliothèques et les laboratoires – là où ils existent – sont désoeuvrés. La médiocrité et l’obsolescence des enseignements dispensés ainsi que leur inadéquation révoltante par rapport aux exigences locales de développement n’ont pas pris fin avec l’introduction du système LMD. Mais « nos représentants du peuple (du Nord) » ne trouvent rien à redire sur tous ces problèmes malgré les multiples grèves des enseignants et des étudiants.
Pour le cas particulier des enseignants d’université, laissons-leur le soin d’exposer eux-mêmes leurs conditions de travail au quotidien, à travers les résultats d’un sondage mené il y a quelques mois seulement :
« 81% des collègues ne disposent
pas d'un micro-ordinateur fourni par l'université : 86% n'ont pas accès à une photocopieuse pour les besoins de service ; les toilettes sont inexistantes pour 45% ; seuls 10% possèdent une ligne
téléphonique et 2% à peine sont connectés au net à partir de leur bureau.
Le matériel didactique : craie, papier, etc. nous est fourni à moins de 40% du volume nécessaire ; 81% des départements ne sont abonnés à aucune revue ; le niveau de fourniture d'eau et
d'électricité est jugé insatisfaisant pour 75% d'entre nous ; 70% ne disposent pas d'un espace pour conduire leurs travaux de recherche. »
Ajoutons que pour l’année académique 2007-2008, le ratio officiel
était de : 1 enseignant pour 53 étudiants dans nos universités.
Là aussi, les hommes politiques du « Grand Nord », sont restés atones et aphones. Sans doute,
estiment-ils que ces plaintes du corps enseignant ne méritent pas leur plaidoyer. Les 6 universités d’Etat du pays totalisaient cette même année 115.710, alors que la capacité d’accueil de ses
institutions n’était que de 62 595 places. Ce qui créait un déficit de 53 115 places.
Quel type d’injustice choque donc finalement « les députés du Grand Nord ? » Pour quelle type de revendication sont-ils prêts à boycotter des séances parlementaires et à brandir le spectre d’une marche de protestation ? Quelle conception de l’intérêt des « citoyens du Nord » guide leurs actions ?
Monsieur le Président,
Achevant votre discours du 10 février, après vous vous-même délivré un satisfecit pour « vos réalisations » à l’endroit de la jeunesse, vous avez invitez celle-ci à se demander ce qu’elle pouvait faire pour le Cameroun. Pour notre part à l’ADDEC, le premier devoir à rendre au pays et le service patriotique que nous inspire votre appel est de dénoncer avec la dernière énergie, le mode de gouvernement et les pratiques décrites ci-dessus, du fait qu’elles sont porteuses de germes de déstabilisation et de désintégration de la nation pour laquelle le sang de tant de nos pères a été versé. Sachez, Monsieur le Président que nous ne nous reconnaissons plus dans ce Cameroun là. Nous n’avons jamais conçu ainsi l’entité pour laquelle nous chantons fièrement :
« Que tous tes enfants, du nord au Sud,
De l’est à l’ouest soit tout amour ;
Te servir, que ce soit leur seul but,
Pour remplir leur devoir, toujours. »
Nous tenons à nous désolidariser solennellement, devant la communauté nationale et devant l’histoire, de ces dérives graves qui mettent la nation en péril et sacrifient l’avenir de la génération qui est la notre sur l’autel des calculs politiques nombrilistes. De même, nous engageons votre responsabilité directe dans toutes les conséquences qui pourraient découler de l’instrumentalisation politique des identités ethno-régionales, notamment dans le domaine du savoir et dans la gestion des institutions universitaires. Pour le reste, seul le peuple et la postérité saurons juger et condamner, en dernière instance.
Nous appelons enfin, à l’ouverture d’un Grand Débat national sur les valeurs qui fondent la République et le vivre ensemble. Débat qu’il serait de bon ton que vous initiez vous-même et auquel tous les secteurs d’activités et l’ensemble de l’opinion nationale (la société civile, les partis politiques, la communauté estudiantine et toute la communauté universitaire, etc.) devraient prendre part, afin de se prononcer sur les grands enjeux de l’heure et sur les graves hypothèques qui pèsent sur la cohésion de la Nation ainsi que sur le modèle de société que l’on entend léguer à la jeunesse camerounaise et à la postérité toute entière.
Dans l’espoir que vous accorderez à la présente correspondance toute l’attention que mérite le regard inquiet d’une jeunesse angoissée sur notre pays, nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République , en l’expression de notre sincère dévouement patriotique.
Le Secrétaire Général de l'Association pour la Défense des Droits des Etudiants du Cameroun (ADDEC),
MVONDO ESSIGA Patrick