Belgique : Hommage à Pius Njawé par Thierry AMOUGOU
Parler d’un monument ou mieux, comme on le dit le jargon populaire camerounais, d’un « baobab » nous expose à deux principales erreurs. La première erreur revient à effleurer juste le sujet devant l’immensité d’une tâche dont on ne peut faire le pourtour. La seconde est d’exagérer pour essayer de faire aussi gros et grand que le « baobab » lui-même.
Ceci étant, s’il m’était demandé de raconter Pius Njawé aux Générations futures, j’essayerai non d’effleurer le sujet et encore moins de faire plus grand que Njawé lui-même. J’essaierai d’être modeste. C'est-à-dire, de dire ce que qui m’a touché sur la trajectoire et l’œuvre de cet homme.
Un témoignage dépend en fait de la masse émotive de chacun, de ses idéologies, de ses valeurs et de ses propres combats. Je vous inviterai donc à souffrir que le témoignage que j’ai de Njawé, ne soit pas exactement le votre. C’est même une chance qu’il en soit ainsi car Pius Njawé a sûrement marqué différemment chacun d’entre nous, tellement son œuvre fut dense et diverse. C’est la première preuve de sa grandeur. Grandeur que veut récupérer le pouvoir lorsqu’Issa Tchiroma, porte parole du Renouveau National, version 2010 déclare :
« Je peux vous dire que, nous qui sommes ici avons appris avec beaucoup de tristesse la mort de Pius Njawé, qui a été l’un des pionniers de la liberté de la presse au Cameroun. Il venait me voir régulièrement au bureau. Et chaque fois qu’il est venu à ma rencontre, je lui ai demandé d’être l’un des pères bâtisseurs de la nation, d’accompagner le gouvernement dans ses efforts d’accompagnement de la construction de la presse privée parce que, la presse a également cette mission d’accompagner les opérateurs économiques, d’accompagner la nation dans les efforts de lutte contre la pauvreté. ». Cette stratégie a un nom. C’est un machiavélisme compatissant qui consiste à faire profit et tirer utilité de ses ennemis ou mieux de ses victimes.
Je dirai donc aux générations futures que Pius Njawé fut :
ü L’incarnation de la Force et de la puissance d’une conviction
La conviction que l’information et l’objet « communication » sont des instruments de transformation sociale. Pius Njawé a matérialisé cette intime conviction par une foi absolue située au-delà de la foi relative et de la foi tiède. En effet, on ne peut transformer une conviction en instrument d’action concret et agissant que si on n’est habité d’une foi aussi grande que celle dont parle Christ. C'est-à-dire, une foi si forte qu’elle peut déplacer les montagnes. Seuls ceux qui la possèdent réalisent de grandes choses et changent le monde.
1. Félix Moumié et Um Nyobè ne l’auraient pas eu qu’ils n’auraient pas osé contester et entrer en guerre contre la machinerie coloniale ;
2. Nelson Mandela ne l’aurait pas eu qu’il n’aurait pas vaincu l’odieux système de l’apartheid ;
3. Mohammed Ali ne l’aurait pas eu qu’il n’aurait pas été un acteur central da la conquête des droits civiques des afro-américains ;
4. Pius Njawé ne l’aurait pas eu qu’il n’aurait pas affronté les redoutables dictatures d’Ahidjo et de Biya.
Cette foi inébranlable en un combat doit nécessairement être aveugle pour qu’elle soit aussi puissante. C’est la raison pour laquelle je parle de l’œuvre de Pius Njawé comme ayant une nature christique. Non sur la dimension de la sainteté étant donné que nous restons des hommes et le Christ Dieu, mais sur la dimension d’une mystique de la souffrance pour que le meilleur triomphe pour les autres.
1. Le souci des autres et du collectif. Le Christ se préoccupa du sort des enfants de Dieu quand Pius Njawé s’est préoccupé du sort des enfants des hommes ;
2. Le Christ a souffert dans sa peau et sa chair pour que quiconque croit en Dieu accède à la vie éternelle quand Njawé a souffert le martyr pour la défense du droit des peuples à la démocratie d’opinion ;
3. Le Christ choisit la non violence, Njawé fit le même choix.
Je dirai aussi aux générations futures que Pius Njawé était :
ü un homme qui choisit la parole comme arme de factualisation de sa conviction suivant laquelle l’objet « communication » est un médium de transformation sociale et des mœurs
Nous venons de voir que Pius Njawé avait un objectif : Réaliser la réalité de sa conviction, c'est-à-dire faire de la communication et de l’information des mécanismes de transformation sociale. Il lui fallait donc aussi des instruments et un horizon temporel.
Là où, face à des dictatures meurtrières et sans scrupules, d’aucuns se seraient attendus à ce que Njawé cherche où se procurer des kalachnikovs et des lance-roquettes, il a choisi les mots comme principal instrument de combat. Voici ce qu’il disait des mots quelques mois avant sa mort: « A word is powerful than a weapon, and I believe that with the word we can build a better world and make happier people… ».
Les mots sur lesquels comptaient Pius Njawé pour transformer la Cameroun, l’Afrique et le monde sont des armes redoutables lorsque se réfère encore une fois à la Bible. Celle-ci nous dit : « au commencement était la parole et la parole était Dieu ». Or qu’est ce que la parole si ce n’est un ensemble de mots agencés et choisis de telle façon qu’ils fassent sens et façonnes, les gestes, les actes et les esprits ? Et cette parole une fois donnée et catégorisée devient un discours qui n’est rien d’autre qu’un rapport social et un médiateur social.
Njawé a donc choisi un instrument d’action redoutable, non seulement indiqué dans la Bible, mais aussi, omniprésent dans la résolution des conflits chez les peuples bantou et l’expression engagée du monde moderne.
1. L’arbre à palabre, est l’incarnation du discours médiateur ;
2. Les paraboles du Christ sont des discours informateurs et transformateurs ;
3. Le rap des adolescents défavorisés est le discours héraut des problèmes, injustices et souffrances sociales ;
4. Le discours politique revient à rallier une assistance à sa cause;
5. Le Discours de Njawé était celui de l’agir communicationnel dans la construction de l’Etat droit et de la citoyenneté.
En conséquence, l’horizon temporel de l’œuvre de Pius Njawé fut à la fois le court terme de la vie courante qu’il fallait rendre moins dure, le moyen terme des conjonctures au sein desquelles il fut un catalyseur des aspirations populaires comme lors des villes mortes. Ce fut aussi le long terme, c'est-à-dire, toute la vie et toute sa vie à chercher un monde meilleur.
Quel fut le résultat donné par cette véritable programmation de sa vie ? Autre question que peuvent me poser les générations futures
Je dirai alors que le résultat fut exceptionnel car Pius Njawé a incarné :
ü Le type-idéal du journaliste déterminé et engagé
Le type-idéal ici n’est pas théorique mais empirique et donc historique. Journaliste engagé parce qu’il était intéressé, affecté, ému et touché par le monde extérieur. Journaliste déterminé parce qu’il est allé au bout de ses conviction que la vérité et l’information des biens que l’on doit au peuple et que celui-ci s’éduque mieux quand il les possède que quand il ne les possède pas. Il était adonc obligé de sortir du « griotisme » ambiant qui nourrit son homme, pour faire ce que j’appelle « le hors pistes journalistique et informationnel ». C’est le refus d’une information mobilisé, mâchée, aseptisée et balisée par un pouvoir qui ne respecte pas la maturité d’un peuple et choisit son infantilisation. C’est refuser le choix du mensonge qui revient à trois choses :
1. Taire ce qui doit être dit ;
2. Tronquer ce qui doit être dit ;
3. Dire le contraire de ce qui doit être dit ;
4. Que les citoyens soient aveugles donc exploitables.
La justice politique et la justice sociale commencent par une information juste et une démocratie d’opinion. Pius Njawé l’a bien compris.
ü Un parangon de la non violence et un maître de la violence symbolique
Pius Njawé fut aussi un combattant non violent. Pius Njawé nous a encore réaffirmé son choix pour le combat non violent lors de la dernière édition du Prix Moumié à Genève. A la question d’un compatriote de savoir qu’elle était la meilleure stratégie pour expulser Biya du Pouvoir, il me souvient que Njawé avait réaffirmé son choix pour le combat non violent en ces termes : « ce sont toujours les plus pauvres des pauvres qui paient lorsqu’une stratégie violente est choisie comme moyen de revendication ». Il me souvient aussi lui avoir dit que j’étais d’accord avec lui, mais que la violence était intrinsèque à toute activité de transformation sociale et que les peuples ne choisissent pas souvent eux-mêmes la violence de façon délibérée, mais qu’elle s’impose à eux comme la seule réaction face à un état du monde qu’ils ne peuvent pas prévoir.
Aux générations futures, je dirais que Pius Njawé était un parangon de la non violence au sens de refus de la guerre armée et des atteintes physiques (violence physique) à ne pas confondre avec la violence symbolique qu’il exerça pendant toute sa vie pour combattre les deux dictatures qu’a connues le Cameroun depuis 1960. C’est que Pius Njawé a compris le rôle et le place centrale du symbole et du discours. Au lieu de combattre par les armes à feu, on peut, grâce au discours, détruire les symboles qui se situent en amont des actes réels. Le viol d’une femme, comme le dit Achille Mbembe, commence par la pensée et les images qui s’y construisent.
Pius Njawé était dont un parangon de la non violence physique mais aussi un parangon de la violence symbolique envers le pouvoir et les dictatures. À la violence à la fois structurelle et physique du pouvoir en place, Pius Njawé a opposé une violence symbolique incarnée par la société juste dont il assurait la promotion par ses écrits.
ü Un politicien vertueux et un civilisateur des mœurs
Un autre résultat, dirai-je aux générations futures, c’est que la Cameroun obtint, en la personne de Pius Njawé, un politicien vertueux et un civilisateur des mœurs. Ayant connu majoritairement des dictatures depuis qu’ils sont indépendants, les Camerounais en particulier et les Africains en général pensent majoritairement que faire de la politique revient à être menteur bandit, roublard et machiavélique. Faire de la politique c’est aussi un sacerdoce. C’est s’occuper des intérêts collectifs et être épris du bonheur des hommes pour lequel on s’engage. Pius Njawé a incarné cet aspect noble et vertueux du politicien. Il ne s’est pas fait enrôlé dans un parti politique mais a passé toute sa vie à poser des débats et des problèmes politiques.
Il fut donc un civilisateur des mœurs des Africains, non seulement dans l’exercice du pouvoir, mais aussi dans la matérialisation du droits des peuples africains à la vérité de l’information et donc à la démocratie.
ü Un justicier et un défenseur du peuple
Je dirai aussi aux générations futures que Pius Njawé a été un justicier et un défenseur du peuple. « La vérité vient d’en haut et la rumeur vient d’en bas » nous dit le « Renouveau Communicationnel » de Paul Biya. Le pouvoir se construisait ainsi un monopole, celui d’être le seul détenteur de la vérité. Le peuple devant parc fait un simple colporteur des rumeurs et de potins.
Pius Njawé à ruiné ce monopole en montrant que la vérité venait du peuple et le mensonge venait d’en haut et la vérité d’en bas. La preuve, les Camerounais disaient depuis longtemps que les responsables volaient tous azimuts, et Paul Biya disait qu’il n’avait aucune preuve de cette rumeur. Maintenant il les met en prison, ce qui prouve que la vérité venait den bas et le mensonge d’en haut. Et comment est-ce que cette vérité est venue d’en bas me demanderons encore les générations futures ? Je leur dirai :
1. Parce que la Gazette étai là ;
2. Parce que Njawé était là
3. Et Pius Njawé était là le Messager était-là
4. Et quand le Messager était là, les peuples camerounais et africains étaient obligatoirement là ;
5. Parce qu’ils côtoyaient l’injustice devenu ordinaire.
ü Un produit des dictatures camerounaises et héritier des pères de nos indépendances
Autant Um Nyobè et Félix Moumié sont des produits de l’Etat colonial et de sa violence structurelle, autant Pius Njawé est le produit des deux dictatures camerounaises : celle d’Ahidjo et celle de Biya. Il est par conséquent l’héritier des pères de notre indépendance. Il a défendu exactement les mêmes valeurs qu’eux même s’il a utilisé les instruments de son époque en montrant l’actualité des problèmes vécus par ses aînés au sein de l’Etat colonial.
Pius Njawé comme nos héros africains est ainsi une incarnation de l’échec du politique, qui, depuis cinquante ans en Afrique Noire, n’arrive pas à rendre la vie des hommes moins héroïque.
Enfin, les générations futures me poseront alors cette dernière question : que pouvons-nous faire pour perpétuer l’œuvre de Pius Njawé ?
ET je répondrai alors aux générations futures en m’adressant aux générations présentes dans cette salle en ces termes.
Chers compatriotes, notre hommage à Pius Njawé ne saurait se limiter à nos yeux couverts de larmes, à nos corps habillés de noir, à nos cœurs couvert de tristesse et à nos chants repris chœurs. Ce qui suit est la meilleure façon de rendre hommage à Pius Njawé :
1. Avoir des valeurs nobles et les défendre avec foi et conviction toute sa vie ;
2. Refuser l’aliénation et la facilité ;
3. Ne pas avoir peur de ce que j’appelle le syndrome du christ ;
4. Savoir que la liberté et la justice sociales ont un prix à payer ;
5. Choisir le risque de l’intelligence et de la liberté ;
6. Se sentir coresponsable des autres et de l’avenir des sociétés dans lesquelles on vit.
Ceci revient à dire : Njawé j’écris ton nom dans ma vie.
Cérémonie d’Hommage à Pius Njawé par la Diaspora camerounaise de Belgique le 31 juillet 2010 à Bruxelles