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Publié par Ndzana Seme,africanindependent.com

Un prisonnier ambulant à la tête de l’État

Un régime dictatorial et corrompu, comme celui aujourd’hui dirigé par Paul Biya, est connu par son insensibilité aux scandales ; qui dans les pays démocratiques normaux auraient normalement secoué et fait tomber les dirigeants incriminés. Et à force de rester insensible aux scandales, ce régime néocolonial s’est imposé comme intouchable. Une telle position d’intouchabilité permet aujourd’hui à Paul Biya, le premier et plus grand détourneur des fonds publics resté insensible à tous les scandales dont il est le centre depuis 1982, d’accuser et de jeter certains indésirables de son entourage en prison, pour détournements des fonds publics. Dans les lignes qui suivent, je verse mon témoignage, toutes précautions de secret bancaire gardées, en tant qu’ancien cadre de la Société Camerounaise de Banque chargé des engagements (crédits et cautions) des régions du Centre, du Nord et de l’Ouest du Cameroun de 1981 à 1989, sur des détournements de Paul Biya et son entourage, qu’il a forcé les Camerounais à rembourser à sa place pour 15 milliards Fcfa.
Ndzana Seme

NEW YORK 11/30/2009 - Lors de la tentative manquée de coup d’Etat du 6 avril 1984, l’accusation essentielle des putschistes était que Paul Biya avait, en l’espace de deux ans seulement, détournés les fonds de la caisse noire que son prédécesseur, l’ancien dictateur Alhadji Ahmadou Ahidjo, lui avait laissés. L’ancien président se plaisait alors de dire, et Paul Biya l’avait reconnu, qu’il avait laissé une économie équilibrée et un trésor excédentaire. Ces fonds de la caisse noire, évalués alors à 400 milliards de Fcfa, s’étaient déjà évaporés à la date du 6 avril 1984. Paul Biya est resté insensible, bouche cousue depuis deux décennies, sur ce premier scandale, qu’il prit soin d’étouffer en même temps que ses loyalistes massacraient des putschistes dans les rues de Yaoundé et dans les fosses communes des lieux voisins.

Non content d’avoir planqué une grande partie des fonds de la caisse noire de la Présidence de la République dans des circuits de blanchiment d’argent et ses comptes personnels, Paul Biya prit pour prochaine cible de ses détournements des fonds publics, les banques camerounaises, dont notamment la SCB où j’exerçais les fonctions de cadre responsable des crédits. L’une de mes fonctions était celle de surveiller les mauvais crédits de mes régions ; une fonction qui était également assurée au niveau central par la direction du crédit gérée par un français.


Des ardoises des Alhadji à celles des « élites » Beti

Ce qui était remarquable dans le portefeuille des crédits des régions du Centre et du Nord sous ma surveillance, c’est la multitude des crédits sans garanties ni dossier. On les appelait alors « crédits politiques », caractérisés par un contenu en tout et pour tout d’une chemise ne contenant que le mot manuscrit d’un parrain (très souvent Sadou Daoudou) recommandant au directeur général de la Banque d’octroyer le prêt sollicité par son protégé commerçant. C’est ainsi que le portefeuille de la banque était truffé d’une multitude de créances, chiffrées en milliards et dizaines de milliards de Fcfa chacune, réclamées aux commerçants Alhadji du Nord Cameroun. Sadou Daoudou était l’ami et homme de main de Ahmadou Ahidjo – mais ce dernier signait aussi mais rarement de sa propre main de telles notes de recommandation – qui appliquait son objectif d’installer une puissante force économique dans son Nord natal.

Quelques mois après la prise du pouvoir par Paul Biya en 1982, je recevais de nouvelles recommandations, similaires à celles de l’ancien système d’Ahidjo. Je faisais face au dilemme de devoir suivre les recommandations, telle celle fréquente de ma hiérarchie directe formulée en termes de « Étudier le dossier avec un préjugé favorable » ; ceci contrairement aux règles établies par la banque demandant au responsable des engagement de se prononcer comme défavorable à tout crédit ou caution qui ne répond pas aux normes exigées, dont celles des garanties et de la solidité financière de l’emprunteur. J’étais souvent convoqué par ma hiérarchie, qui me faisait clairement comprendre que nous, en tant que Beti désormais à la direction de la banque – référence étant faite au directeur général Robert Messi Messi – devons tout faire pour créer une nouvelle classe d’hommes d’affaires Beti.

Nos premières mésententes éclatèrent à cause de telles exigences contraires à l’éthique bancaire. Mon supérieur hiérarchique fut remplacé par un ressortissant du littoral, ancien directeur régional du Nord. La pression des demandes de « crédits politiques » pour les Betis s’allégea sur moi. C’était cependant ignorer qu’une telle pression s’était allégée seulement sur moi, mais restait plus forte sur la direction générale. Et Robert Messi Messi avait, fait nouveau, constitué son propre portefeuille de crédits, inaccessible aux responsables régionaux des engagements.

Et c’est seulement de bouche à oreille que j’apprenais, des collègues de la direction centrale des crédits en particulier, que la direction générale était entrain de décaisser sans compter de nouveaux « crédits politiques ». On pouvait lire la déception sur tous les visages des services de crédits, d’autant plus que les mauvaises créances sur les commerçants Alhadji mettaient déjà la banque dans une situation de dangereuse instabilité de trésorerie à la BEAC.


Ma découverte de la faillite du groupe français Bastos et l’exil de Bertoua

Je m’étais donc déterminé, plus que jamais, à verrouiller par des rapports musclés et à rejeter tout crédit qui ne répondait pas aux normes. C’est ainsi qu’entre autres, le dossier de renouvellement d’un gros crédit de trésorerie de 7 milliards à l’ancienne Société Bastos de l’Afrique Centrale tomba sur mon bureau, portant la recommandation d’accord du directeur français de l’agence SCB de Yaoundé. Après analyse des documents financiers, interviews avec les cadres de l’entreprise et descentes dans les magasins des stocks, je conclus que la Société Bastos était en faillite.

Bastos étant alors un grand intérêt économique français au Cameroun de l’époque, je subis les plus grandes pressions que jamais. Je fus accusé par le directeur d’agence d’obstruction systématique de ses dossiers, rappelant entre autres un dossier farfelu précédent pour la construction d’un immeuble à Yaoundé, que je venais de rejeter. Toujours est-il que je fus présenté par un groupe des cadres de l’agence de Yaoundé devant un tribunal présidé par le directeur général adjoint français. Mais leurs efforts de pression sur moi furent vains, puisque je gardai ma position de rejet du dossier. Je fus par la suite sanctionné par une affection à l’agence de Bertoua, comme « chargé des engagements ». Toujours est-il que la faillite de Bastos fut plus tard reconnue, et l’entreprise française fut rachetée par le groupe anglo-américain BAT.


Les décaissements frauduleux de Biya et ses hommes de main
C’est à l’époque de mes conflits avec l’agence de Yaoundé que les nouvelles des décaissements par Paul Biya, par l’intermédiaire de feu Jeanne Irène Biya, elle-même représentée par deux individus, Albert Cherel Mva’a et Aze’e Jérémie, parcouraient régulièrement les bureaux des cadres de la SCB. Les décaissements soudains, c’était parfois 1 milliard, d’autres fois 1,5 milliards. Et tout le monde dans la banque se démenait pour combler le trou de trésorerie laissé à chaque fois. Nous devions contacter nos agences pour qu’elles transfèrent au plus vite du cash dans l’agence centrale de Yaoundé, qui courait le risque de ne pas pouvoir honorer ses engagements de caisse. De Bertoua, les mêmes mauvaises nouvelles des décaissements de Paul Biya ébranlant la banque, continuaient de me parvenir.

En usant de sa domination sur Robert Messi Messi, un petit homme essentiellement timide et faible, Paul Biya tout comme son épouse ne daignaient même pas signer de mots de recommandations, comme leurs prédécesseurs nordistes le faisaient. Ils se considéraient plus malins. Ils pouvaient voler sans laisser de traces, en sachant user et abuser de leur pouvoir sur les directeurs des banques, qu’ils plaçaient ainsi dans une situation de trésorerie impossible de tenir à la BEAC.

D’après Robert Messi Messi lui-même, dans une interview accordée à Blaise Pascal Talla et Célestin Monga, JAE No 155- Mai 1992, Albert Cherel Mva’a et Aze’e érémie avaient ainsi décaissé pour le compte de Paul Biya :
- Du cash pour un total de 3,55 milliards de Fcfa (plus précisément 3.551.149.501 F CFA).

A tout ceci s’ajoutent, d’après Messi Messi :
§ Des Virements effectués en faveur d’un certain Olivier Cacoub, par prélèvements sur le compte de la SCB à American Express Banque France (Agence de Paris), pour la construction du nouveau palais de Paul Biya dans son village natal à Mvomek’a, pour un total de 35 000 000 FF, soit 1 750 000 000 F CFA
§ Le paiement de la contre-garantie, par la SCB, d’un crédit acheteur belge laissé impayé par Jeanne Irène Biya pour l’achat des équipements de sa ferme du Sud
§ Des décaissements faits par un certain Azé'e Jérémie de la famille Biya
§ Le financement d'un immeuble d'habitation de très haut standing à Yaoundé, au quartier Ekoudou ; un immeuble loué par la suite à l'ambassade de l'ex-République fédérale d'Allemagne au Cameroun pour servir de résidence à l'ambassadeur
§ Un prélèvement effectué pour l'acquisition d'une pierre tombale à la suite du décès du frère aîné du Président ainsi que pour la couverture de diverses dépenses liées aux funérailles, à Mvomeka'a
§ Un retrait pour le compte de Mme Owono Ndi, parente de Mme Biya et cadre de la SCR en stage en France
§ Le financement des dépenses locales liées aux travaux de construction du palais et de l'aéroport présidentiels à Mvomeka'a pour 200 millions de F CFA
§ Le financement de dépenses locales liées à la construction à Mvomeka'a de baraquements pour la Garde présidentielle et de quelques résidences de haut standing pour initiés
§ Le financement des dépenses locales liées à la gestion de la ferme du Sud à Mvomeka'a
§ Le financement des dépenses locales liées à la gestion des plantations de Mvomeka'a
§ D’autres retraits échelonnés dans le temps, et dont la destination n’avait pas été indiquée au moment du prélèvement des fonds.
§ Des crédits sans garantie accordées aux protégées de Paul Biya, comme celui de 120 millions de F CFA octroyé à Titus Edzoa pour bâtir une villa sur un terrain situé dans un luxueux quartier de Yaoundé (Quartier Bastos) ; un immeuble que le bénéficiaire mentait envisager de mettre en location, mais qu’il occupa plutôt personnellement plus tard, tout en devenant insolvable
§ Des prêts au général Asso'o Emane, un très proche de Biya, à l’époque commandant du quartier général militaire à Yaoundé, pour financer un « Hôtel de référence» que ce dernier a construit à Ebollowa, quartier Ebolowa-si, pour un coût de construction estimé entre 200 et 300 millions de F CFA, financés par la SCB, sans garanties
§ Et bien d’autres.

Les détournements de Messi Messi et sa tentative de m’utiliser


Enfin, le dernier protégé de Paul Biya dont personne ne parle, à savoir Robert Messi Messi, qui s’était servi à volonté et impunément, avant se s’envoler vers son refuge du Canada, qu’il garde jusqu’aujourd’hui. Selon l’IGERA du tonitruant ministre de la fonction publique Garga Haman Adji, dans son rapport du 19 avril 1992, Robert Messi Messi était accusé de détournements de plus de deux millards Fcfa (2.285.178.792 Fcfa).

Après m’avoir exilé à Bertoua après l’affaire Bastos et d’autres mésententes personnelles, je faisais curieusement partie des dernières nominations de Robert Messi Messi en juillet 1988. Après la publication de ces nominations, sa secrétaire m’appela pour me dire que le directeur général me demandait de le rencontrer lorsque j’allais être de passage à Yaoundé pour rejoindre mon nouveau poste de responsable régional des engagements de l’Ouest à Bafoussam. Mais lorsque je passais par Yaoundé, j’apprenais plutôt que Messi Messi n’était plus directeur général de la SCB. C’est à Bafoussam qu’on me montra un compte en rouge de 1,5 milliards de Fcfa et l’on m’expliquait que Messi Messi tentait de me racheter avec cette nomination parce qu’il voulait que je soigne ce dossier. Le compte était au nom d’un ancien chauffeur de taxi que Messi Messi utilisait, tout comme Paul Biya utilisait Albert Cherel Mva’a et Aze’e Jérémie, comme couverture pour des décaissements qui finançaient les lourdes constructions de son château personnel dans son village natal à Ngomedzab. Le faible directeur général avait donc cru, contre une nomination après un exil sans cause, pouvoir m’acheter. Je n’eus pas la chance de lui montrer qu’il ne pouvait y parvenir, surtout après toutes mes récentes actions de lutte contre la corruption dans l’agence de Bertoua.


Comment Paul Biya obligea les Camerounais à rembourser les fonds qu’il détourna

Comment Paul Biya remboursa-t-il ces divers décaissements, autant individuels que de son entourage. Eh bien, lui comme sont entourage des bénéficiaires de ces « crédits politiques » n’ont rien remboursé du tout. Les Camerounais ont tout remboursé à leur place. Et la grande astuce de Biya, qui restera dans les annales de l’histoire du Cameroun, est la suivante.

Les décaissements sans dossiers de crédits ou garanties, que Paul Biya et son entourage opérèrent aussi sauvagement à la SCB, plongèrent la banque dans des tensions graves de trésorerie signalant une faillite. La BEAC et l’actionnaire Crédit Lyonnais ordonnèrent un audit. C’est alors que Paul Biya opéra l’impensable.

Au moment où il décidait de céder la SCB au Crédit Lyonnais « contre un franc symbolique », le total des « crédits politiques » s’élevait à 35 milliards Fcfa. La nouvelle banque, SCB-CL, réclamait donc cette somme à l’Etat. C’est lors que, pour payer sa dette découlant de ses détournements et de ceux de son entourage en complicité avec Robert Messi Messi, Paul Biya engagea la République du Cameroun à rembourser la somme de 15 milliards de Fcfa. En contre partie de quoi ses dettes personnelles, apparaissant sur les noms de couverture de Jeanne Irène Biya, Albert Cherel Mva’a et Aze’e Jérémie, ainsi que celles de son entourage, furent effacées des livres de la SCB-CL, complètement remboursées.

L’Etat du Cameroun n’ayant pas ces 15 milliards de Fcfa à la date de création de la SCB-CL en 1989, Paul Biya ordonna qu’un emprunt soit contracté auprès de la BEAC. La République du Cameroun, c’est-à-dire les contribuables camerounais, ont eu à rembourser pendant 7 ans à la BEAC ce prêt de 15 milliards plus intérêts, en lieu et place de Paul Biya et son entourage.

Les Camerounais ne doivent donc pas, en dehors des 400 milliards laissés par Ahidjo dans la caisse noire de la Présidence et des autres détournements encore à chiffrer auprès de la SNH, manquer de demander que Paul Biya leur rembourse ces 15 milliards Fcfa, qu’ils avaient remboursés à sa place.
Voici une preuve de plus que le plus grand délinquant du Cameroun est celui qui dirige son Etat et oppresse son Peuple

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