CAMEROUN : Biya, adversaires et supercheries
Ayissi Mvodo décédé en Juin 1997, Titus Edzoa sous mandat de dépôt le 03 juillet 1997, le tour était bien joué. Biya pouvait s’offrir un nouveau tour de manège.
Un coup de poignard pour ses potentiels adversaires, de la confusion pour l’opposition, l’homme de Mvomeka’a s’est assuré un siège à vie à la présidence de la République du Cameroun.
Ça n’est plus qu’un secret de polichinelle ! Les dés sont jetés, le prince du Renouveau méphistophélique veut vraiment y rester ! Quitte à se lancer dans une nouvelle bouffonnerie fantasmagorique
en vue de surprendre encore les naïfs. Se servant de son opération épervier, pour réduire au néant ses rivaux, l’homme aux promesses fallacieuses continue de servir au peuple écrasé par
plus d’un demi-siècle de politique barbare, l’illusion d’un devenir paradisiaque.
Delphine E. FOUDA (Strasbourg, France)
Outre l’élimination physique des véritables leaders d’opinion, Paul Biya et les
crocodiles de son régime, ont savamment étouffé toutes les aspirations discordantes issues de leurs rangs. En infligeant de lourdes peines d’emprisonnement à ses ex-serviteurs et en leur trouvant
de nouveaux chefs d’accusation pour les y maintenir Biya parvient ainsi à mettre hors circuit ses anciens collaborateurs dont le tort avait été de rêver en un temps soit peu, au strapontin
d’Etoudi.
La lutte contre la corruption qui sert d’étendard au président camerounais dévoile de nombreuses supercheries. Une simple étude de cas assez illustratifs atteste de l’évidence d’une volonté
manifeste de tout un clan dont les appétences voraces traduisent le désir de régner ad vitam aeternam sur le Cameroun.
Le 20 avril 1997, lorsqu’Edzoa Titus Rigobert démissionne de son poste de ministre de la santé publique et annonce sa candidature à la présidentielle du mois d’octobre de la même année, un autre
baron du régime, avait quatre mois plus tôt (le 19 décembre 1996), claqué la porte du parti au pouvoir. Victor Ayissi Mvodo, puisqu’il s’agit de lui, ne quittait pas simplement ce parti
qu’il avait longtemps servi sous l’égide d’Ahidjo et qui fut renommé en 1985 par Paul Biya. Il en faisait bien plus : Il se portait candidat à la présidentielle d’octobre 1997. Cet ancien
ministre et secrétaire politique du parti Etat, l’union nationale camerounaise (UNC), devenu Rassemblement démocratique du peuple camerounais(Rdpc) en 1985 ne fut pas un simple figurant sur
l’échiquier politico-social camerounais. Sous le régime de celui que la puissance coloniale imposa à la nation camerounaise en guise de chef d’Etat, Ayissi Mvodo appartenait à la haute sphère.
Non seulement il occupa les fonctions de ministre chargé de mission à la Présidence, puis ministre d’Etat de l’Administration territoriale, il fut aussi pendant plus de 10 ans secrétaire
politique à l’UNC.
Il est évident que la candidature de Victor Ayissi Mvodo avait perturbé les cercles du pouvoir. Dans une lettre ouverte aux membres du deuxième congrès ordinaire du Rdpc, Victor Ayissi Mvodo
dénonçait l’institutionnalisation de la pensée unique au sein du Rdpc, « de l’accaparement par le président de la République du destin de notre parti et partant de celui de l’Etat et de la
Nation toute entière ».*(1)
Le projet de ‘’redressement et d’espérance’’ du futur adversaire de Paul Biya se donnait entre autre ambition de reconstruire le Cameroun, de réconcilier les camerounais… Du fait de sa démission
et de sa candidature à la présidentielle, Ayissi Mvodo portait un grand coup à l’homme de Meyomessala. Il n’était un secret pour personne que, les rivalités Ayissi-Biya, tous les deux originaires
du centre(Ewondo)-sud(Bulu), étaient manifestes. Ayissi Mvodo trouvait en Paul Biya un personnage fourbe et hypocrite. Leur collaboration durant le règne du premier président, fut entachée
de moult tensions, trahisons et divergences. Ce qui n’offusqua guère Ahidjo qui ne tînt pas compte des avertissements d’Ayissi Mvodo à l’endroit de Biya ; au contraire il fit de ce dernier son
successeur. Ironie du sort, le dauphin s’avéra être un dangereux requin. Ahidjo ne se le pardonnera jamais et affirmera plus tard sur les antennes de Rfi « Je me suis trompé. Le président Biya
est faible. Mais je ne savais pas qu’il était aussi fourbe et hypocrite. »
La démission en avril 1997 de Titus Rigobert Edzoa du gouvernement camerounais vint confirmer les soupçons de malaise au sommet de l’Etat. Non seulement le Prof Titus Edzoa était un membre du
cercle des initiés, il était aussi en odeur de sainteté avec sa majesté. Or il ignorait que la disgrâce est le lot de tout esprit brillant qui gravite autour de Paul Biya. Il ne l’apprit qu’à ses
dépends. Le roi se nourrissant de ragots, calomnies et coups bas devinrent si insupportables au prof qui, après sa dégringolade du sacro- saint secrétariat à la présidence de la République pour
une ‘’simple’’ fonction de ministre à la santé, eut un sursaut de fierté.
Un clash qui fit du raffut ! Les notables Ewondo (une composante de l’ethnie Beti), étaient encore à se demander qui de Biya ou d’Ayissi Mvodo bénéficierait de leur soutien pour le prochain
scrutin, qu’un autre fils faisait sa sortie théâtrale. Au lieu d’un candidat, les Beti en général et les Ewondo en particulier se retrouvaient avec deux pions dissidents qu’il eut fallu soit
soutenir, soit sacrifier au profit de l’homme bulu. Bien qu’Ayissi Mvodo observa une certaine méfiance vis-à-vis de Titus Edzoa à qui le reproche était fait de n’avoir jamais cherché à connaître
les siens durant sa lune de miel avec Biya, un projet de rapprochement de ces deux fils Ewondo germa. Le décès brusque de Victor Ayissi Mvodo le 21 juin 1997 vint stopper cette rêveuse
ambition.
La providence a-t-elle réellement été du côté de Paul Barthelemy Biya au point de soustraire un rival aussi contrariant à quelques mois seulement de l’échéance électorale? Ou du moins, celui qui
faisait peser une menace réelle face au clan Biya, n’a-t-il pas été comme disent les Ewondo ’’éliminé’’ purement et simplement ? That’s the question. Une chose est évidente : Victor Ayissi Mvodo
comptant sur le soutien de l’Eglise catholique, des patriarches Beti ainsi que sur celui de l’opposition qui lui était favorable, Biya avait des insomnies. Une possible alliance Ayissi-Edzoa lui
aurait été fatale. Ayissi Mvodo décédé en Juin 1997, Titus Edzoa sous mandat de dépôt le 03 juillet 1997 pour détournement de fonds, le tour était bien joué. Biya pouvait s’offrir un nouveau tour
de manège. Appelle-t-on cela de la providence?
Mêmes intrigues, mêmes vautours…
Médisance et coups bas ont toujours prévalu au détriment du bien être de l’Etat, peut-on retenir des collaborateurs de Biya. Paul Désiré Engo le dépeint dans une lettre adressée au président de
la République le 2 septembre 1999, date à laquelle il est déchu de ses fonctions de directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale(CNPS).
Détenu à la prison centrale de Yaoundé depuis 1999 pour ‘’détournement de fonds’’, Engo se dit victime d’un ‘’règlement de compte politique’’. Il écrit à cet effet à ses compatriotes en
soulignant qu’ « il est inadmissible qu’un chef d’Etat sacrifie délibérément la vie de certains concitoyens pour faire plaisir à ses proches ou pour nourrir l’ambition des sycophantes plus
préoccupés par l’étiquette, que par le bien de la nation »*(2)
Tout comme Ayissi Mvodo, Pierre Désiré Engo fut sous Ahidjo un collaborateur de Paul Biya alors Premier ministre. Selon des indiscrétions, les relations Engo (ministre de l’Economie et un bulu
d’Ebolowa)-Biya( Bulu de Sangmélima) étaient empreintes de rivalité. Il n’est pas inintéressant de noter que dans le Sud Cameroun, les bulu de Sangmélima et d’Ebolowa n’ont pas toujours été en
bonne entente tout comme bulu et Beti.
Parmi les metteurs en scène des intrigues de palais, figure en bonne place Edouard Akame Mfoumou. Dans l’affaire Engo, il est celui qui semble avoir causé la déchéance de l’ex Dg. Dans l’affaire
du rouleau compresseur contre le Prof Edzoa Titus Rigobert, le personnage y est actif. Confirmation sera faite dans l’affaire des écoutes téléphoniques où il révèle à Belinga Eboutou qu’il avait
reçu quitus du patron pour s’en occuper. C’est également lui qui donne les consignes à Amadou Ali sur la procédure à suivre…
Pourtant le bonhomme n’est pas exempt de tout péché. Quelques malversations bien couvertes lui auraient été reconnues. Son fils Eugène Akame Mfoumou avait par ailleurs, durant leur période de
gloire, défrayé la chronique. Bien évidemment tel que le déclare le père à Cameroon Tribune « Ma fidélité et ma loyauté vis-à-vis du chef de l’Etat sont indéfectibles. J’ai déjà eu à le souligner
: je lui dois tout »*(3)
Si l’opération épervier a eu le mérite d’offrir aux camerounais assoiffés de justice, la joie de voir derrière les barreaux quelques délinquants à col blanc, il est tout de même important de
noter que tous (ils n’ont toujours pas démissionné du Rdpc) ces individus ont été moulé à l’image même du régime qu’ils ont servi.
L’ex-secrétaire adjoint à la présidence de la République, Réné Owona, qui vécut longtemps à l’ombre de son dieu et bienfaiteur Paul Biya fut protégé du scandale de détournement dont il fut indexé
dans l’affaire ’’Messi Messi’’ et de la cellucam. Parler donc de lutte contre la corruption dans un tel système est une aberration.
*1 cf projet de redressement et d’espérance, Victor Ayissi Mvodo, Cameroun 97
*2 Affaire(s) Pierre Désiré Engo ou l’imposture permanente
*3 Cameroon Tribune du 24 septembre 2004