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Publié par Delphine E. Fouda

  
SHANDA TONME, le messager 24/04/2008. Rien n’aura donc été en mesure d’arrêter le désir infernal du pouvoir déjà fortement contesté et impopulaire de Yaoundé, de réaliser son rêve fou de rédiger une Constitution qui lui ouvre les portes de l’éternité. Ni les conseils de l’ancienne puissance coloniale, ni les recommandations du président des Etats Unis qui a envoyé tout un vice-ministre des Affaires étrangères à Yaoundé, ni les démarches de quelques relations d’affaires, ni la quarantaine de morts (selon les sources officielles) des émeutes quelques semaines plus tôt, ni les indicateurs d’opinion largement défavorables, n’ont pu faire changer d’avis à un Président convaincu que rien ni personne sur la planète n’est plus avisé et plus intelligent que lui.
La question n’est même plus aujourd’hui de savoir d’où le Président tire ses leçons d’histoire, ni de qui il croit détenir un pouvoir infaillible de commander l’avenir et de se passer de tous les avis, de toutes les recommandations, et de toutes les colères. A ceux qui se demandent si le Président n’a jamais visionné le film à succès « Mobutu Roi du Zaire », la seule réponse qui tient la route maintenant c’est qu’il joue de plus en plus seul, de plus en plus solitaire, et de mieux en mieux comme quelqu’un qui se sait condamné pour toutes ses fautes, ses défaillances, ses manquements, ses promesses non tenues, ses nombreuses déceptions.
Quant à savoir avec qui et à partir de quelles analyses le Président fonctionne, les confidences conduisent presque toutes à la même rhétorique, à savoir que l’on est en face d’un homme complètement hors des réalités de son environnement, et trompé au quotidien par une cour restreinte qui lui chante ce qu’il veut entendre, et l’oriente vers les conclusions qu’il aime. Il n’y a pas un seul haut cadre qui, rencontré en privé, ne se déclare en désaccord ou surpris par telle ou telle décision qui relève pourtant de son domaine de compétence et pour laquelle on le croyait en phase. Le Cameroun serait ainsi un bateau moitié ivre, moitié perdu, et peut-être sans direction cohérente.
Le vote par l’Assemblée nationale unicolore d’une révision de la Constitution instituant une présidence à vie de fait, a fini de convaincre les derniers sceptiques sur la perdition du pays. D’aucun n’hésitent plus à conclure tout simplement que le pays vient d’être précipité dans les ténèbres, car nationaux et étrangers ne voient pas comment l’on va procéder à brève échéance pour arranger les choses et taire les nombreuses rancœurs résultant d’une des gouvernances les plus opaques du continent.

Dans ce tableau sombre, les jeux ethno tribaux et les calculs régionalistes ont achevé de donner au pays, une image de caverne d’Ali baba où chacun croit tromper l’autre ou tromper les autres avec quelques astuces, quelques compromissions, et quelques trahisons. Plus que jamais, la fameuse équation d’un pouvoir Sud-Nord ou Nord-Sud est d’actualité. Déjà fourrée en nombre impressionnant aux postes clés de l’Etat et de la République, l’élite du Grand nord joue à fond la répétition, le soutien et la pérennisation du régime, convaincue l’on ne sait sur quelles bases, que les vieux schémas coloniaux plantés par la France aux premières années de l’indépendance, vont se perpétuer. Dans cette optique, on joue à isoler le Grand ouest, cette fois moins le Littoral dont le tout puissant secrétaire général à la présidence de la République se veut le porte parole discret et mystique.
Les grèves et les mouvements de colère contre la vie chère et la modification de la Constitution qui ont paralysé le pays à la fin du mois de février 2008, n’ont presque pas touché le Grand nord, tout comme le Sud reconnu acquis au régime. Mieux, l’élite du Grand nord a donné de la voix, pour marquer sa différence, sa déférence et sa fidélité au régime, comme pour mieux se présenter en héritière le moment venu. On a retrouvé le cliché des anglo bamis qui veulent tout casser, chasser le régime et faire la révolution, face à une coalition plus fausse que vraie, Nord-Sud-Est.
En réalité, rien n’est plus aléatoire que de tels calculs, dans un pays où un citoyen sur deux jure aujourd’hui de se venger pour une raison ou pour une autre, et où une diaspora excitée attend impatiemment son heure en cultivant les intrigues de toutes sortes et en alimentant la presse étrangère des nouvelles les plus alarmantes. Pire encore, les procès lancés sans cohérence aucune contre certains anciens dignitaires du régime, ont eu pour principal effet non pas de stopper la corruption et les détournements, mais de soulever des réseaux de milices qui ne disent pas leurs noms, et qui attendent les ordres de leurs différents maîtres pour se faire entendre par la violence.
Enfin, les calculs du Président et de son entourage le plus immédiat qui continuent de laisser certaines composantes ethniques en marge de toutes les décisions et de les traiter en sous produits politiques, jouent plus que jamais avec le feu. Ces composantes qui focalisent dorénavant la majorité des cadres du pays dans tous les secteurs techniques et académiques, ne sont plus les mêmes qu’en 1960 ou 1970 et disposent en réalité de grands moyens de pression et d’action au plan local et au plan international. Il faut être fou pour croire que le destin du pouvoir au Cameroun se règlera sans leur implication et surtout sans leur avis.

La suite logique de la planification du Président voudrait qu’une élection présidentielle anticipée soit organisée entre mars et juin 2009, pour finaliser un processus qui en lui accordant un autre mandat de sept ans, permettrait de dicter un successeur. Cette stratégie sonne faux de plusieurs manières et n’intègre pas des variantes troublantes qui sortiraient des jeux cachés des autres acteurs pour l’instant discrets. La seule précaution semble être pour le régime, de verrouiller les postes sensibles en plaçant des Bulus, ou à défaut des produits des tribus minoritaires comme le montrent les dernières promotions dans de nombreux corps.
Mais alors, qui a pensé à ce que pourrait constituer un autre mouvement d’humeur concentré sur la vie chère, ou même une revendication professionnelle qui prendrait de l’ampleur et échapperait à tout contrôle ? Ce qui inquiète, dément et fragilise tous les calculs du régime, c’est cette grosse incertitude sur les tendances, les humeurs, et les colères citoyennes dans un pays maintenant propice à toutes sortes de dérapages. Il faudrait mentionner que les forces de sécurité, militaires, gendarmes et polices réunies, ne sont plus en mesure de faire le poids devant une fronde généralisée.
La crainte est grande depuis le forcing intervenu à l’Assemblée avec le vote de cette révision presque clandestine autorisant le président à se succéder à lui-même, que personne ne soit plus en mesure de contrôler quoi que ce soit à la moindre alerte. La plupart des intellectuels, professeurs d’université affichant des titres pompeux d’agrégés, sont les mêmes qui en privé, assurent leurs interlocuteurs que le régime est foutu et qu’il ne tiendra plus longtemps. Non seulement ces mauvais génies se dédisent ainsi, mais encore ils préparent des plans alternatifs pour se sauver et mettre leurs familles à l’abri dans l’éventualité d’une explosion.
La seule chance qui restait au pays pour éviter le pire, répètent inlassablement les diplomates en poste à Yaoundé, c’était de remettre les pendules à l’heure d’une transition honnête et transparente à travers une consultation électorale libre et effectivement multipartiste ; or il vient de la gâcher en se remettant en scelle indéfiniment pour le pouvoir. C’est ce que les Camerounais ne peuvent pas accepter, et c’est qu’ils ne sont pas prêts à lui pardonner, y compris des intimes, et y compris des membres influents de sa propre tribus.
La démarche du Président est donc à tous les égards et pour tout le monde, de l’intérieur comme de l’extérieur, une faute, une faute aux conséquences les plus imprévisibles, et à tel point que l’avenir immédiat se décrit raisonnablement en ténèbres infinis./.
 
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