La République de la rumeur : Le Cameroun de 2008
La cité, 22/05/2008.C'est reparti avec le règne de la rumeur au Cameroun. "On a dit que…", "il semblerait que…", "savez-vous que…", "il paraît que…", "on a arrêté untel…", " untel autre est déjà en fuite…", " on a retiré le passeport à untel…", "on a rattrapé tel…", "X a proposé de rembourser telle somme…", "Y n'est pas passé par quatre chemins, lui il s'est engagé à restituer tout l'argent dont son fils est accusé d'avoir volé…", " avant la semaine prochaine, Z passera, à son tour, à la police judiciaire…". “Tel ministre en poste a été entendu par la police.” “Il y a remaniement ministériel”. “Un tel a été démi de ses fonctions”. Que n'entend-t-on pas, ces jours-ci, depuis que le sinistre oiseau, aux ailes toutes noires, dénommé épervier tournoie, sinistrement, dans le ciel du Cameroun, frappant on ne sait trop comment. Alors, tout le monde a peur.
Enfin, pas tout le monde, les " immunitaires "d'hier, ceux, pour qui, les lois étaient faites pour les autres." Vous n'imaginez pas ! me retrouver devant un minus, un petit commissaire de police ! ou un petit commandant de brigade de rien du tout ! n'importe quoi… " Ils ont perdu le sommeil. La sonnerie du téléphone retentit : le coeur s'affole dans la cage thoracique.
Un véhicule se trouve derrière le sien depuis un moment dans la rue : ça y est, on est suivi. C'est
l'enfer. Mais, que cette rumeur provoque des cauchemars inouïs à des individus haut placés dans le régime, on a envie de dire, comme les gosses : " achuka ! ". C'est-à-dire, c'est bien fait. Ils
n'avaient qu'à ne pas détourner l'argent de l'Etat, pensant que leur engagement en faveur du régime allait les prémunir de toute enquête, de tout contrôle, de toute poursuite judiciaire. En
revanche, que celle-ci touche le sommet de l'Etat, il y a tout lieu de s'en inquiéter véritablement.
L'INTERVIEW DE PAUL BIYA A JEUNE AFRIQUE
Tout récemment, le rédacteur en chef de l'hebdomadaire panafricain Jeune Afrique avait été aperçu au palais d'Etoudi. Aussitôt, la rumeur s'est mise en marche. " Paul Biya, le muet, a enfin
décidé de s'exprimer dans un journal, ça fait si longtemps qu'il ne l'avait plus fait… " Alors, les Camerounais se sont mis à attendre, fébrilement, la parution de ce numéro qui s'annonçait,
d'avance, explosif. De quoi aurait-il parlé dans son interview ? Qu'y aurait-il révélé de spectaculaire aux Camerounais ?
" Il a tout dit sur les arrestations ; pourquoi il arrête les gens ; les sommes d'argent en jeu ; ce
qu'il compte faire de cellesci ; il a également parlé de sa succession, déjouant ainsi les mauvaises langues qui chantaient déjà partout qu'il désire s'éterniser au pouvoir ; Maradona Biya y a,
une fois de plus, driblé les Camerounais ; son coup de rein est supérieur à celui de Roger Milla quand celui-ci marquait des buts… ", etc. Bref, les Camerounais se sont mis à papoter, comme
d'habitude. Certains avaient même déjà réservé, auprès des vendeurs de journaux, le fameux numéro, car, " les stocks de tels numéros s'épuisent rapidement ". Eh bien, il n'en était rien. François
Soudan, en personne, est venu démentir tous ces ragots.
L'ABSENCE DE COMMUNICATION
En fait, si le Cameroun est retombé, près de deux décennies après la libération de la presse, dans la rumeur, c'est bien pour une raison : le président de la République, est beaucoup trop avare
en paroles. Il n'est pas Abdoulaye Wade, le président sénégalais qui explique tout, à son peuple, à toute occasion. Il n'est pas, non plus, Omar Bongo Ondimba, qui, même éméché, s'entretient sans
retenue avec la presse.
Il n'a jamais été l'invité de RFI de grand matin. Il n'a jamais répondu à la moindre interview, à chaud, à quelque journaliste que ce soit, au sortir des rares conférences auxquelles il participe. Il n'a même, en plus de 26 ans de règne, jamais organisé une conférence de presse, tout court, que ce soit au Cameroun, qu'en France, où il adore, contre toute attente, s'exprimer. Bref, Paul Biya est Monsieur Silence. Ses propagandistes disent qu'il n'est pas un adepte de l'exhibitionnisme. Cet argument vaut ce qu'il vaut. Mais, qu'on le veuille ou pas, il est à la base du genre de rumeur qui secouent le microcosme politique national ces derniers temps.
Elle est déjà bien loin l'époque où Paul Biya avait déclaré aux Camerounais, en leurs reprochant leur trop forte propension à la rumeur : "la vérité vient d'en haut, la rumeur vient d'en bas ; lisez la presse, écoutez le radio…" Ses concitoyens voulaient lire Jeune Afrique, pour éviter la rumeur, ils n'y ont rien trouvé…c’est la rançon du pouvoir personnalisé.