Alain Anyouzoa « Nos dirigeants ont plus confiance aux occidentaux qu’à leurs propres enfants »
Alain Anyouzoa, selon vous, quelle est la place de la diaspora africaine dans le
développement des pays africains ?
Elle est incontournable pour le développement du continent Africain. Malheureusement, nos dirigeants dans leur grande majorité n’ont pas encore compris qu’ils en ont vraiment besoin. Pour
certains, la diaspora représente un danger. Pour d’autres, ceux de la diaspora ne sont qu’une bande de donneurs de leçons. Il y a du vrai dans ces deux positions. Mais aucune ne justifie que l’on
ne fasse pas appel à elle. Si je peux aller plus loin, je dirais qu’aussi bien la diaspora se sait incontournable, elle pèche elle-même par sa suffisance, ses anachronismes et ses
incohérences; anachronismes et incohérences qui ont survécu aux distances, au temps et à “l’exil”. Cet état des choses a été récemment bien résumé par l’ancien ministre Boh Boh
qui fit la remarque selon laquelle la diaspora Camerounaise constitue une réalité complexe traversée par les mêmes clivages politiques et sociaux que nous rencontrons au pays … Le Cameroun étant
une Afrique en miniature, vous pouvez transposez ceci à l’échelle continentale. Ces anachronismes et incohérences sont réels et ne permettent pas à la diaspora de constituer une masse critique à
même d’influencer les décisions politiques en Afrique.
‘’Il va falloir qu’on s’asseye tous ensemble
‘’
Je partage aussi marginalement la position de Monsieur Boh Boh quand il dit qu’il “faut poser le problème de la diaspora autrement si on veut convaincre notre gouvernement de prendre une décision
politique forte pour impliquer ces compatriotes de l'extérieur de façon lisible et efficace à l'effort de développement politique et économique national”. Je crois qu’il existe une réelle volonté
de la part de la diaspora Africaine pour aider le continent à se relever. La balle est, ma foi, du coté de nos dirigeants. C’est eux qui détiennent les leviers décisionnels. Il est toutefois
nécessaire qu’on comprenne tous qu’il ne sert à rien de se perdre en conjectures, de se perdre dans des débats et arguments stériles et contre-productifs sur le pourquoi ou le comment de la
collaboration entre la diaspora et nos gouvernements. Il va falloir qu’on s’asseye tous ensemble pour trouver des solutions à nos problèmes. Puis, Il faudra aussi, dans la mesure du possible,
tranquillement poursuivre en les étayant d'arguments, ces politiques de développement qui ont déjà porté des fruits dans des pays comme la Tunisie, le Maroc, la Corée et la Chine, renforcer notre
collaboration et notre capacité à adapter les expériences de ces pays à nos réalités, développer une recherche scientifique adaptée à notre environnement socio-économique, car ensemble nous
serons forts. L'assurance a le don singulier de faire naître l'assurance dans le cœur des autres !
Nos dirigeants ont plus confiance aux occidentaux qu’à leurs propres enfants formés dans les mêmes écoles et universités que ces coopérants blancs – alors que dans bien des cas nous étions meilleurs qu’eux dans leur propres écoles. N’attendez pas que les occidentaux aillent développer l’Afrique. Ça n’arrivera jamais! Permettez-moi de vous donner un exemple de bonne foi de nos “partenaires au développement”. Depuis 1982, l'Union européenne négocie des accords de pêche avec une série de pays africains sur la base de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée la même année. Cette convention a permis à des pays à court de liquidités et parfois minés par la corruption, notamment en Afrique de l'Ouest, de lever des fonds [*].
En 2002, un rapport de l'UE révélait qu'au Sénégal la biomasse des poissons avait diminué de 75 % en quinze ans. Cela n'a pas empêché Bruxelles de négocier la même année des accords de pêche concernant le thon et des espèces de fond au large du Sénégal pour une durée de quatre ans, pour une contrepartie financière de 16 millions d'euros seulement par an.
En 2006, l'UE a obtenu de la Mauritanie des droits de pêche pour 43 gigantesques bateaux-usines, moyennant 86 millions d'euros par an. D'après les estimations, ces accords auraient privé d'emploi 400 000 pêcheurs d'Afrique de l'Ouest.
Aujourd'hui, certains ne prennent plus la mer que pour acheminer des candidats à l'immigration vers les îles Canaries. Vous comprenez donc qu’il y a un grand écart entre les discours et les pratiques. Pourquoi créeraient-ils d’ailleurs une nouvelle concurrence alors même qu’ils ont actuellement maille à partir avec les asiatiques sur le continent?
D’un autre côté, on pourrait avoir une chance avec les asiatiques si nous lisons bien les contrats que nous signons avec eux et ne commettons pas les mêmes erreurs qu’avec les occidentaux. Ce que je doute fort quand vous voyez ce qui se passe dans les pays comme l’Angola ou plus de 90% du personnel dans certains projets sont chinois!
Alain Anyouzoa qu’est ce qui explique le retard dans le transfert de technologie en Afrique
?
Une réponse courte serait “Le manque de volonté politique, le manque de vision et l’incompréhension ou la non-maitrise des enjeux géostratégiques du moment”. Le reste de cette interview constitue une réponse plus détaillée.
Je commencerai par dire qu’à mon avis le transfert de technologie s’est déjà opéré il ya bien longtemps. Je ne sais pas ce qu’on attend en plus de l’occident, ou espérons avoir de l’Orient que nous n’avons pas déjà reçu. L’Afrique possède actuellement plus de 40 000 Ph D exerçant dans la majorité en occident, sans compter des ingénieurs. Plus qu’assez pour amorcer un réel décollage technologique et économique. Nos dirigeants attendent maintenant qu’on leur donne aussi la technologie. Là, c’est de l’affabulation. Il faut qu’on comprenne qu’il ya une certaine technologie qu’on ne nous donnera jamais. On va nous permettre de l’utiliser sans en maîtriser les contours. Pourquoi voulez-vous que les autres vous donnent des technologies qui ont coûté pour les développer, des milliards de dollars américains à leurs contribuables? Qu’est-ce que nous offrons nous en contrepartie? La pitié? A ma connaissance, la pitié est une marchandise sans grande valeur sur la marche internationale. Et curieusement, il n’y a que l’Afrique qui a tendance à vouloir l’utiliser comme monnaie d’échange.
Nous devons apprendre à penser autrement et refuser l’assistanat. Nos dirigeants doivent comprendre que la clé du développement passe par la capitalisation sur le potentiel intellectuel. Ce n’est pas sorcier. Le bois qu’on découpé à tour de bras dans nos forêts, les minerais qu’on extrait de notre sous-sol sont transformés et nous sont revendus 1000, 10000, 50000 fois et parfois plus que le prix d’achat.
D’où vient cet écart? Il vient du capital intellectuel de l’occident, du patrimoine de connaissances collectives de leur peuple. Cela revient à dire que l’absence de capital intellectuel est la cause de la pauvreté. Il n'y a pas de fatalité dans la pauvreté. Il faut briser ce schéma. Le continent devra promouvoir la créativité et l'éducation, indispensables pour donner de la valeur à ses matières premières. La pauvreté n'est pas l'absence d'argent, mais plutôt l'absence de connaissances. L'éducation réduit plus vite la pauvreté que les matières premières. Le capital intellectuel, permettra de créer des produits dérivés à partir de la technologie. A la fin, il y aura non seulement redistribution de la richesse, mais aussi création et contrôle de la nouvelle richesse. Cette approche apportera la prospérité pour des millions d'africains. Autant de synergies qui supposent la connaissance et la maîtrise de la technologie. L'Afrique périra si elle continue à consommer ce qu'elle ne produit pas et à produire ce qu'elle ne consomme pas [***]. (A suivre)
[*]Courrier International
[**]Quotidien Mutations
[***]Philip Emeagwali.