Cameroun-Sénégal: Deux ambassadeurs pour une chancellerie
Alain B. Batongué, Mutations, 04/12/2008. Imbroglio camerounais à Dakar.Nommé depuis
février, le nouvel ambassadeur n'a pris ses fonctions qu'hier pendant que l'ancien refuse de quitter la résidence.
La situation que vit l'ambassade du Cameroun à Dakar depuis mardi dernier est inédite dans les annales de la diplomatie camerounaise. Jean Koe Ntonga, nommé ambassadeur du Cameroun au Sénégal par
décret présidentiel du 22 février 2008 est arrivé à Dakar mardi le 02 décembre. Il a le lendemain présenté au ministre sénégalais des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, les copies figurées des lettres de créance. Mais il a retrouvé dans la capitale sénégalaise l'ambassadeur
sortant, Emmanuel Mbonjo Ejangue, qui occupe toujours la résidence officielle et qui n'a consenti à la libérer, qui en début de semaine, le bureau et la chancellerie.
Cette situation inédite, que le ministre camerounais des relations extérieures Henri Eyebe Ayissi l'a longtemps redouté . Il a même tenté de l'éviter ; embarrasse au plus haut point le gouvernement camerounais, en même temps qu'elle met en lumière le manque de rigueur et de cohérence dans la gestion des dossiers gouvernementaux. L'alerte avait déjà été donnée le 23 octobre dernier lorsque des observateurs, étonnés, ont aperçu Jean Koe Ntonga à une cérémonie de remise de médailles aux diplômés de l'Institut africain d'informatique (Iai) à Yaoundé. Le fait d'avoir été longtemps ambassadeur du Cameroun à Libreville et son amitié avec le ministre gabonais du Budget, par ailleurs Pca de Iai, pouvait-il justifier qu'il se soit déplacé de Dakar pour prendre part à cette cérémonie certes importante ?
Le lendemain, le reporter se fera dire au ministère des Relations extérieures que le nouvel ambassadeur du Cameroun à Dakar, qui a libéré son poste à Libreville le 14 mai 2008, une semaine avant la célébration de la fête nationale, n'a toujours pas pris son service , parce que les usages commandent que le nouveau et l'ancien ambassadeur ne se retrouvent pas au même moment dans le pays d'accueil. Que l'infortuné ambassadeur avait dû prolonger son séjour à l'hôtel Hilton avant de choisir l'option d'aller habiter en famille dans un domicile privé. Mutations avait relayé, début juin, d'énormes difficultés, logistiques notamment, que le gouvernement camerounais avait pour couvrir les différents frais liés aux déplacements des diplomates nouvellement affectés.
Au revoir et décoration
Mais, de sources proches du ministre des Relations extérieures et de celui
des Finances , des solutions financières ont finalement été trouvées et l'ensemble des ambassadeurs retardataires ont reçu, aussi bien de la présidence de la République que du ministère des Relations extérieures, les lettres de
créance, copies figurées et ordres de mission à la mi juin. Qu'est ce qui causait donc problème pour prolonger aussi longtemps la prise de fonction ? Au Minrex, on indique que la première raison
était la même que pour tous les autres ambassadeurs: Les difficultés à débloquer l'argent correspondant aux frais de relève. Mais dans le cas d'espèce, même quand cet argent a été provisionné,
l'ambassadeur Mbonjo Ejangue aurait indiqué que le montant retenu ne correspondait pas à ses besoins.
"Il a adressé une lettre au ministre", indique, sous anonymat, un directeur au
Minrex qui précise: "Il estimait qu'après avoir fait près de 20 ans à Dakar, il ne pouvait pas revenir avec juste quelques valises et que l'argent mis à sa disposition ne suffisait pas à ramener
tous ces bagages, d'autant qu'aucun arrangement n'était plus possible avec Camair qui ne volait plus". Le ministre aurait estimé que tous les diplomates devaient être logés à la
même enseigne, et qu'il n'avait pas le pouvoir de régler des problèmes particuliers. Il aurait alors indiqué
à l'ambassadeur appelé à revenir au pays à engager au plus vite les formalités d'usage, d'autant qu'à Dakar, il était, comme plusieurs autres diplomates camerounais, le doyen du corps
diplomatique.
A Dakar, selon nos sources au Minrex, Emmanuel Mbonjo Ejangue est reçu à la mi-juillet par l'ensemble du corps diplomatique qui lui fait ses adieux. La même cérémonie a lieu fin octobre avec le
groupe africain à Dakar, mais il ne donne toujours aucune indication de retour, faisant valoir que ses exigences financières restent valables. Le 17 novembre, Henri Eyebe Ayissi, que la situation
commence à exaspérer, écrit à son homologue sénégalais, lui annonçant l'arrivée le 25 novembre du nouvel ambassadeur. Le diplomate sénégalais comprend entre les lignes et organise
une audience d'adieu du doyen avec le président Wade. Ce qui est fait le 22 novembre, audience au cours de
laquelle Emmanuel Mbonjo Ejangue est d'ailleurs décoré.
Et c'est à la suite que le Minrex, par une autre correspondance adressée
personnellement à M Mbonjo Ejangue, lui annonce que le nouvel ambassadeur
arrivera à Dakar le 02 décembre et lui demande, comme le recommandent les usages, de libérer les lieux avant l'arrivée de son successeur. Le nouvel ambassadeur est bel et ben arrivé mardi le 02
décembre. Mais l'ancien n'est pas parti. Ce qui a amené Jean Koe Ntonga à prendre ses quartiers dans un hôtel de la place. Une situation qui embarrasse, depuis de nombreux mois, le personnel de
l'ambassade, à l'instar du 1er conseiller, Mme Blandine Ngoué, que nous avons jointe au téléphone hier, et qui regrettait que les hommes ne sachent pas se mettre à la hauteur de leur fonctions
qu'ils ont occupé.
La seule chose qui a été sauvée hier à Dakar, c'est que juste après la présentation des copies figurées au ministre sénégalais, le nouvel ambassadeur a pu représenter le Cameroun à l'ouverture de
la Conférence internationale sur le sida qui se tient dans la capitale sénégalaise.