Hommage à Jean Marc Ela:Jean-Marc Ela était le fils de la terre
Tribune libre, Vincent Sosthène FOUDA, 28/01/2009.Ceux qui l’ont connu en témoignent, ce n’était pas un collecteur d’impôt mais un collectionneur d’idées agissantes et créatrices, une cigale qui dès les premières lueurs du jour annonce les débuts de tout et comme une fournie se tue à l’ouvrage.
C’était un fils de la terre c’est pourquoi les saisons n’ont pas eu d’emprise sur lui durant les 72 années de son séjour parmi nous, ceux qui l’ont connu en témoignent.
C’était d’un fils de la terre d’où cette obsession de l’histoire pour s’inscrire dans le temps, non pas pour lui mais pour la postérité c’est pourquoi les femmes et les jeunes filles le chantent dans les 4 coins de l’Afrique sienne afin que l’arrière pays entende aussi son message.
C’était un fils de la terre, c’est pourquoi c’est dans un murmure qu’il quitte nos regards humains pour se confondre définitivement à sa jumelle la terre pour la féconder pour une nouvelle germination de l’Afrique nôtre.
C’était un fils de la terre et c’est pourquoi il n’a jamais douté d’elle, il la trouvait belle et quand il a poussé un coup de gueule c’était encore pour chanter l’unique Beauté, elle n’a pas été un sujet d’étude pour lui mais une conception de la vie, qui vous engage à jamais et c’est pourquoi beaucoup de bimanes le suivent encore du regard En attendant le vote des bêtes sauvages[1].
Maintenant peut-on dire que tout est fini puisqu’il est retourné à la terre ? Avec la distance, la lucidité mais avec la proximité de l’affection ne dois-je pas proclamer haut et fort à la manière du Nègre fondamental que l’œuvre de l’homme ne fait que commencer ? Tu nous lègues, nous disent ceux et celles qui t’ont connu une œuvre qui enflamme l’imagination et réchauffe même les esprits les plus froids. Non, non nous n’avons pas fini de te voir puisque tu n’es qu’à l’arrière case de ce pays des Bekons[2], avec Césaire l’inspirateur, Engelbert Mveng le frère de sang, avec Félix roland Moumié le combattant, Ossendé afana, Langston Hughes le précurseur. Dans cet hôpital de Vancouver, dans ton bréviaire il y avait ces mots du poète nègre :
« J'ai connu des fleuves:
J'ai connu des fleuves anciens comme le monde et plus vieux
que le flux du sang humain dans les veines humaines.
Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves.
Je me suis baigné dans l'Euphrate quand les aubes étaient neuves.
J'ai bâti ma hutte près du Congo et il a bercé mon sommeil.
J'ai contemplé le Nil et au-dessus j'ai construit les pyramides.
J'ai entendu le chant du Mississipi quand Abe Lincoln descendit
à la Nouvelle-Orléans, et j'ai vu ses nappes boueuses transfigurées
en or au soleil couchant.
J'ai connu des fleuves:
Fleuves anciens et ténébreux.
Mon âme est devenue aussi profonde que les fleuves »
Cette profondeur du fleuve n’engloutit pas cependant c’est pourquoi au terme d’une vie de combats incessants pour maintenir, face à la confusion des médias et aux tentatives d’annexion des régimes totalitairement africains tu nous lègue la plume et la pioche[3] comme unique outil de travail pour une nouvelle germination de l’Afrique – Quand nous pousserons Le cri de l’homme africain, nous saurons qu’il n’est rien d’autre que le cri biblique du malheureux qui surgit au moment où les Nations nantie ne cessent de tirer sur la corde qui étrangle l’Afrique ! C’est ça Ma foi d’Africain[4], celle qui fait corps avec « homme des écritures » qui ne sépare point la plume de la pioche, la pensée de l’action, la ville de la brousse. Et Quand l’Etat pénètre en brousse[5] il tourne définitivement le dos à la superficialité et à son bricolage idéologique pour enfin élargir l’imaginaire afin d’intégrer les nouveaux défis pour bannir à tout jamais cet effroyable irruption des pauvres[6]. Voila l’unique bouée phosphorescente dans le naufrage de l’Afrique que tu nous lègue dans Innovations sociales et renaissance de l’Afrique[7] ultime acte d’insoumission dans cette Afrique des villages[8].
C’était un fils de la terre et nous l’avons retourné à la terre comme acte d’un si grand amour, il écoutait Robert Akamba et Pie Claude Ngoumou, il méditait sur Haendel et le Salve Régina accompagnait ses pas dans cette unique Ville en Afrique noire[9] : le cœur de l’homme.
Vincent Sosthène FOUDA
Chaire de recherche du Canada en Mondialisation, citoyenneté et Démocratie
Université du Québec à Montréal
[1] Kourouma (Hamadou), Paris, Le Seuil, 1999.
[2] Arrière case dans la cosmogonie Ekang, qui accueille les morts et où ceux-ci vont corps avec les vivants.
[3] Ela (Jean-Marc), Yaoundé, Editions Clé, 1972.
[4] Ela (Jean-Marc), Paris, Karthala, 1985.
[5] Ela,(Jean-Marc), Paris, Karthala, 1990.
[6] Ela (Jean-Marc), Paris, L’Harmattan, 1994.
[7] Ela (Jean-Marc), Paris, L’Harmattan, 1998.
[8] Ela (Jean-Marc), Paris, Karthala, 1983.
[9] Ela (Jean-Marc), Paris, Karthala, 1983.