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Publié par Delphine E. Fouda

Lorsque Valéry Giscard d’Estaing accède à la présidence de la République en 1974, en France, il trouve des dirigeants africains qui président aux destinées de leurs pays respectifs depuis déjà quatorze ans, pour la plupart. Il s’en inquiète, au nom de l’usure du pouvoir, et redoute que ceux-ci ne soient, les uns après les autres, renversés par des militaires qui viendraient mettre en place des régimes que Paris ne contrôlerait plus, voire même, qui lui seraient carrément hostiles. Il est d’autant plus fondé de le penser que, les populations africaines, depuis les indépendances, en 1960, sont très remontées contre la France qui soutient, parfois militairement, les dictateurs africains, prévaricateurs et très impopulaires, et sont, dans plusieurs cas, attirés par l’Union Soviétique et son régime socialiste.

 

Valéry Giscard d’Estaing et la nouvelle politique africaine

de la France en 1974

 

     Au regard de cette situation, et dans le but de préserver les intérêts de la France, dans ces pays, ce qui, selon lui, passe par le maintien, dans ceux-ci, de régimes profrançais, il opte pour l’inauguration d’une politique de remplacement des fameux « pères de l’indépendance », déjà détestés par leurs peuples respectifs, par des personnages plus jeunes et identifiés comme particulièrement francophiles. Il dispose d’ores et déjà, pour cette nouvelle politique, du schéma mis au point par Charles de Gaulle, lors de la désignation d’Omar Bongo Ondimba, et que nous venons de présenter ci-dessus. Il en tire simplement les règles, qui peuvent se résumer ainsi :

 

 

1/- choisir un personnage ayant déjà été directeur de cabinet du président à remplacer ;

2/- ce personnage doit être nettement plus jeune que le président à remplacer ;

3/- ce personnage doit n’avoir jamais flirté avec les mi-lieux anti-français, et plus précisément, n’avoir pas participé aux luttes pour l’indépendance dans le camp des nationalistes ;

4/- ce personnage doit être un francophile actif ;

5/- ce personnage doit avoir exercé des fonctions élevées, vice-président de la République, Premier ministre ;

6/- la constitution doit être modifiée en vue de faire du Premier ministre (ou du vice-président lorsqu’il en existe un) le « successeur constitutionnel » du président à remplacer ;

7/- le président à remplacer doit démissionner « volontairement » au cours de son mandat, alors qu’il reste encore plusieurs années ;

 

     Ces règles, Valéry Giscard d’Estaing va entreprendre de les mettre en application dans le cadre de sa politique de remplacement des « pères de la nation ».

 

     Comme terrain d’essai de cette nouvelle politique de la France à l’endroit de ses anciennes colonies d’Afrique Noire, il choisit trois pays : le Sénégal et la Côte d’Ivoire, en Afrique de l’Ouest, et le Cameroun, en Afrique Centrale. Si cette politique aboutit à des résultats satisfaisants dans ces trois pays, c’est alors qu’il la généralisera, et l’appliquera à la totalité des anciennes colonies françaises d’Afrique Noire, confrontées à des régimes usés, corrompus et impopulaires. Le choix de ces trois pays n’est pas, lui-même, fortuit. Il correspond, en fait, à la vision de l’Afrique francophone par l’Elysée. Jacques Foccart nous révèle que Charles de Gaulle déclarait à Ahmadou Ahidjo, le 22 septembre 1966 en le recevant : « vous êtes les leaders (Senghor, Houphouët Boigny et Ahidjo) de l’Afrique qui avance … ». Traduction, selon les stratèges élyséens, ces trois pays sont les plus importants à leurs yeux.

 

     Comment cette politique nouvelle a-t-elle été appliquée au Sénégal ? Dans ce pays phare de la politique africaine de la France en Afrique de l’Ouest, se trouve, au pouvoir, un personnage des plus Français qui soit, Léopold Sédar Senghor. Grand chantre du « métissage culturel », ce dernier n’avait consenti à parler de l’indépendance de son pays, qu’en 1959, c’est-à-dire lorsque Charles de Gaulle, devenu président de la République française, avait estimé que le maintien de colonies françaises en Afrique Noire, allait finalement être préjudiciable à la France. Léopold Sédar Senghor, pour sa part, étant déjà ministre en France et marié à une française, était le modèle parfait de personnage à hisser au pouvoir dans les territoires coloniaux à qui Charles de Gaulle avait décidé d’octroyer l’indépendance. 

     Lorsque Valéry Giscard d’Estaing délègue René Journiac, son conseiller aux affaires africaines, et en même temps ex-collaborateur de Jacques Foccart au Secrétariat Général aux Affaires Africaines et Malgaches de Charles de Gaulle, auprès de Léopold Sédar Senghor, en 1974, pour lui exposer la nouvelle politique africaine de la France, le président sénégalais n’y trouve rien à redire. Il accepte, de gaieté de cœur, cette politique, d’autant qu’il reconnaît que son pouvoir est déjà fortement contesté par ses compatriotes. Le 22 mars 1967, il avait échappé, de justesse, à un attentat, qui lui aurait coûté la vie. Bien qu’il eut condamné à mort et exécuté l’auteur de celui-ci, il n’avait pas le cœur tranquille. Une année plus tard, en 1968, les étudiants et les fonctionnaires s’étaient mis en grève, et son régime avait failli être renversé. Il en avait tiré, pour enseignement, la nécessité d’effectuer des réformes, et, surtout, de partager le pouvoir.

(…) En 1974, lorsque René Journiac s’entretient avec Senghor, il est question, simplement, d’étudier les modalités de succession à la présidence de la République, par Abdou Diouf. La constitution est modifiée, quelque temps après, à cet effet, en y introduisant une clause selon laquelle, en cas de vacance du pouvoir, le Premier ministre achève le mandat présidentiel, peut former un nouveau gouvernement, révoquer les ministres, pour tout dire, il devient président de la République, à part entière, sans toutefois passer par les urnes. Au mois de décembre 1980, Léopold Sédar Senghor se retire, « volontairement » du pouvoir,  et, le 1er janvier 1981, Abdou Diouf lui succède « constitutionnellement », alors que son mandat court encore pour une durée de trois ans. Ce n’est qu’en 1983, que Abdou Diouf se fera élire par les Sénégalais, à la présidence de la République, alors qu’il est déjà président depuis plus de deux ans. (…) Comment cette politique nouvelle de la France a-t-elle été appliquée en Côte d’Ivoire ? Autant le projet de Giscard est passé comme une lettre à la poste à Dakar, autant, en revanche, à Abidjan, celui-ci s’est heurté au refus catégorique de Félix Houphouët Boigny. Pis encore, ce dernier s’en était même offusqué et avait demandé, à René Journiac, de porter le message suivant à son patron : « …lorsque moi, Houphouët Boigny, j’étais ministre dans son pays, c’est-à-dire en France, lui, Valéry Giscard d’Estaing, il n’était même pas encore un simple conseiller municipal ; alors, je n’ai pas d’ordre à recevoir de lui… » (…) Au Sénégal, la nouvelle politique africaine de la France n’avait posé aucun problème. En Côte d’Ivoire, refus total de se plier aux injonctions de Paris. Qu’en a-t-il été du Cameroun ? Au Cameroun, se trouvait également au pouvoir, un francophile bon teint. Bien mieux, celui-ci n’était pas simplement un francophile, il était même beaucoup plus, une créature politique, pure et simple, de la France. En effet, Ahmadou Ahidjo, sur le plan politique, devait tout à la France. (…)

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 Bref, l’Elysée est aux abois. Inutile de dire que, en un rien, la nouvelle a fait le tour de la communauté camerounaise en France, même si, à l’époque, il n’existait pas de cellulaire : « Ahidjo est dans le coma ». Aussi loin de Paris et de Nice que nous étions, à savoir à Strasbourg, la nouvelle nous est parvenue. Par bonheur pour Paris, probablement lundi 30 avril ou mardi 1er mai 1979, le président Ahidjo est revenu dans ce bas monde. Et l’Elysée a poussé un immense OUF ! de soulagement. Valéry Giscard d’Estaing a aussitôt « prié » Ahmadou Ahidjo de venir le rencontrer, à Paris, d’extrême urgence, pour discuter de l’ « amitié franco-camerounaise ». Le mercredi 9 mai 1979, Ahmadou Ahidjo a ainsi été reçu par lui. Le quotidien Cameroon Tribune du jeudi 10 mai 1979, s’est alors lancé dans son charabia habituel : « le ciel de la coopération franco-camerounaise est sans nuage ». Que se sont, au cours de cet entretien, dits les deux chefs d’Etat ? (…) Le 06 février 1980, en pleins préparatifs du congrès de l’Unc de Bafoussam, prévu du 12 au 17 février 1980, le Premier ministre, Paul Biya, reçoit à dîner, l’ambassadeur du Niger en fin de séjour au Cameroun. Habituellement, c’est le président de la République qui se charge des au revoirs des diplomates en fin de séjour au Cameroun. Le Premier ministre ne le fait que lorsque le président de la République est absent du pays, ou « empêché ». Or, Ahmadou Ahidjo n’est pas en voyage à l’étranger. Il n’est pas non plus à Bafoussam, où les préparatifs du prochain congrès de l’Unc battent leur plein. Où se trouve-t-il donc ? Ahmadou Ahidjo est à Ngaoundéré pour accueillir … René Journiac, la victime malheureuse de Bokassa à Libreville, quelques mois auparavant. Il s’y est rendu, incognito. Pas grand monde ne sait qu’il se trouve même hors de la capitale. Le 06 février, alors que l’avion de René Journiac est déjà sur le point d’atterrir, le train d’atterrissage étant déjà entièrement sorti, et que Ahmadou Ahidjo est debout, sur le tarmac de l’aéroport en train de suivre, du regard, les manœuvres d’approche de l’avion, tous phares allumés, voilà que subitement, celui-ci disparaît derrière la broussaille en bout de piste. Il s’en suit un énorme bruit sourd, semblable à une explosion. Puis, une épaisse fumée noirâtre se met à s’élever du sol. (…) Quoi qu’il soit, René Journiac meurt au cours de ce crash aérien, sous les yeux d’Ahmadou Ahdjo. Fait curieux, personne n’en fait état, de manière officielle, au Cameroun. Ce n’est que le quotidien gouvernemental, Cameroon Tribune, qui, dans son édition du samedi 09 février, publie, en page 15, soit à la fin du journal, le communiqué ci-après : « France : les obsèques de M. Journiac auront lieu lundi à Paris.   Les obsèques de M. René Journiac, ancien conseiller du président de la République française pour les affaires africaines, qui a trouvé la mort dans un accident d’avion, au Cameroun, auront lieu à 10 h 30 à Paris, dans l’église St Honoré d’Eylan, a indiqué, vendredi, le porte-parole de l’Elysée, M. Jean-Marie Poirier. »  Lorsque l’on sait la place importante, pour ne pas dire spéciale, qu’occupe, la France, dans la politique extérieure du Cameroun, il y a lieu d’en être considérablement surpris. On se serait attendu à ce que cet accident occupât la Une de Cameroon Tribune. Mais, tel n’a pas été le cas. C’est comme s’il fallait, à tout prix, maintenir, dans le secret, cette rencontre avortée entre le président camerounais et le conseiller français. Pour quelle raison ?

Enoh Meyomesse

 

Prix : 11 Euros

Contact :

leseditionsdukamerun@yahoo.fr

enoh.meyomesse@gmail.com

 

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