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Publié par Delphine E. Fouda

ABBE PROSPERE ABEGA, VICAIRE A LA BASILIQUE MARIE REINE DES APÔTRES :
Propos recueillis par Gildas Mouthé, L'Effort camerounais du 24/07/2008.


Prêtre de l'Archidiocèse de Yaoundé, ancien Président de l'Association du clergé diocésain de Yaoundé, l'Abbé Prospère Abéga est un  de ces hommes de Dieu qui se sont donnés pour mission de restituer la vérité contre vents et marées. Compagnon de longue date du Père Engelbert Mveng, il évoque dans cette interview- vérité avec L'Effort Camerounais, la vie et l'assassinat du prêtre Jésuite.

Mon Père, qui était le Père Engelbert Mveng ?


Le Père Engelbert Mveng était une chance et une lumière pour le Cameroun. Malheureusement, un prophète n'étant jamais bien accueilli dans son pays, il a été trahi par les siens. Le jour où le Père Engelbert Mveng est mort, Léopold Sédar Senghor a appelé la Présidence de la Républiquepour demander comment un homme comme le Père Mveng  pouvait-il vivre sans gardes. Pourquoi tout cela ? C'est que le Père Mveng était un homme qui, du temps des Spiritains, avait déjà  manifesté son désir d'être Jésuite. Ils l'ont laissé partir malgré eux, parce que c'était un jeune extrêmement brillant. Il est parti faire son Juvénat au Congo Belge devenu aujourd'hui République Démocratique du Congo, où il a obtenu sa licence. Il est par la suite allé en Belgique où il a obtenu une licence belge. Après la Belgiqueil a débarqué en France, mais les français à l'époque ne reconnaissaient pas les diplômes belges. C'est ainsi qu'il a présenté et obtenu une licence française, et plus tard un doctorat. Notons qu'en plus de ce parcours universitaire il a subi toute sa formation Jésuite dans ce pays. C'était un homme qui était extraordinairement formé. A son retour au pays, il a écrit un article qu'il a montré à un de ses collègues. Après avoir lu l'article, ce dernier lui a dit qu'avec un article comme celui là, il ne sera jamais professeur ni au Grand Séminaire, ni à l'Institut Catholique. Quand Mgr Sastre qui venait de Madagascar a pris la direction du Grand Séminaire de Nkolbisson, il lui a écrit pour lui dire comment il voyait la situation. Cette lettre qui parut dans un de ses ouvrages intitulé L'Afrique dans l'Eglise, était vraiment prophétique, c'était une prémonition de tout ce que nous voyons aujourd'hui. Cet homme là a fait le plan de l'Institut Catholique, il n'y est jamais entré pour enseigner, parce qu'on trouvait qu'il était comme Socrate, c'est-à-dire qu'il corrompait la jeunesse, alors qu'intellectuellement, il lui ouvrait le crâne. Nous avons travaillé étroitement lui et moi parce que nous avons été les premiers prêtres à être recrutés à l'Université de Yaoundé. Cette proximité m'a donné l'occasion de lire ses plans. L'un consistait à ouvrir un Institut religieux pour y former des ingénieurs chevronnés dans tous les domaines : Il avait remarqué que tous les grands marchés qu'on offrait sur place était brigués par des étrangers, parce qu'ils étaient plus compétents. Malheureusement ceux-ci rapatriaient chez eux tous les capitaux qu'ils percevaient. Le Père Mveng voulait ainsi former un type d'homme capable de rivaliser avec ces gens là au niveau de la compétence, tout en étant religieusement dans l'esprit de pauvreté voulu par le Christ. Il a donc commencé cette formation en m'associant. La branche féminine de cet Institut  qui a aussitôt été pour lui source de malheur, surtout à cause de cette fameuse Dame  qu'il a recrutée pour en être la responsable. Cette dernière ne s'est d'ailleurs pas montrée spirituellement à la hauteur, car très vite séduite par la richesse. C'est d'ailleurs à cause de ce penchant  que viendra leur séparation qui s'est faite presque à couteau tiré.
Puisque vous évoquez la mort du Père Engelbert Mveng, pouvez-vous nous dire dans quelles circonstances vous avez appris ce décès ?


J'étais Curé à Nkolkoumou, et c'est dans ma paroisse qu'il a dit sa dernière messe une semaine avant son décès. Le dimanche d'après, j'ai vu accourir  des jeunes que nous encadrions lui et moi, j'étais d'ailleurs surpris. Certes, le Père leur avait dit que chaque fois qu'ils ne comprenaient rien, il fallait qu'ils aillent voir l'Abbé Prosper. C'est donc sur cette recommandation qu'ils sont venus me voir. Ces jeunes m'ont raconté que ce dimanche matin, ils s'étaient levés comme d'habitude pour aller à la rencontre du Père Mveng. Le Père avait construit deux maisons, une sur le Bouri, et  une autre à Nkolafemé. Ces jeunes étaient donc arrivés à la résidence du Père Mveng, et ils voyaient de la lumière dans sa chambre. Ils sont restés là longtemps sans voir le Père descendre, alors, ne comprenant rien, ils se sont mis en route pour venir m'appeler. Entre temps, la nièce du Père  qui avait la clé de la maison est venue, elle a ouvert la maison et a trouvé qu'on avait assommé le Père dans la nuit. Moi je suis arrivé, personne dans la rue d'en face ne savait  qu'il s'était  passé quelque chose. Je suis monté dans la chambre et j'ai trouvé le Père qui était étendu. C'est moi qui ai pris un linge pour le  couvrir, et puis les gens ont commencé à courir. Je leur disais, attention la police va venir, et si vous touchez à tout, ils ne pourront savoir comment réagir, alors, laissez tout en ordre. Alors j'ai essayé de contenir la foule. Je suis descendu pour alerter les  Pères Jésuites de Melen. Je leur ai annoncé la nouvelle, et je suis rentré sur le lieu du crime. Tous les  Commissaires de la ville sont venus. Et puis quand je suis arrivé, j'ai trouvé que les enquêtes avaient commencé, et je me suis mis à la suite des enquêteurs.

A ce moment précis, les enquêteurs avaient t-ils déjà une piste ?

La  piste sur laquelle les enquêteurs s'étaient focalisés était celle de l'assistante de la branche féminine des Béatitudes. Et le plus troublant dans cette affaire, c'est la facilité avec laquelle les assassins sont entrés dans la maison. Ces derniers avaient d'ailleurs pénétré dans l'immeuble par le haut, alors que tout le bas était fermé. Ils semblaient d'ailleurs connaître tous les coins et recoins de la maison. Les assassins avaient dû ouvrir soit la porte ou la  fenêtre pour pénétrer dans la maison. La police a donc commencé ses investigations. On n'avait touché à rien ! Même l'argent que les pèlerins venaient de remettre pour le pèlerinage était là. On avait d'abord cru que c'était un crime crapuleux, eh bien non !  Naturellement, pendant qu'on faisait des enquêtes, j'ai appris que le directeur des enquêtes voulait me voir. Je suis allé vers lui, et il m'a demandé ce que le Père Mveng était pour moi ? Je lui ai répondu que c'est dans ma paroisse que le Père avait célébré la messe pour la dernière fois, et j'ai poursuivi en disant que nous travaillions ensemble sur des problèmes concernant l'avenir des jeunes, et que le Père Mveng avait dit aux jeunes que s'ils trouvaient quelque chose qui n'allait pas, il fallait avertir l'Abbé. Ce jour- là, je portais un jean qui, semble t-il avait une tâche au niveau du col, c'était en fait de la rouille. Ce vêtement était accroché quelque part dans ma chambre, et quand les jeunes sont venus m'annoncer la mauvaise nouvelle, je n'ai pas fait attention à ce que je mettais. Les enquêteurs croyaient que c'était une tâche de sang parce que, disaient-ils, le meurtrier revient toujours sur le  lieu du crime. Cela m'a vraiment sonné. Par la suite, ils m'ont demandé quand on m'a vu avec lui  pour la dernière fois, et du coup, on a commencé à me soupçonner d'avoir tué le Père Mveng. Nous sommes allés au commissariat où l'on est resté avec cet habit. Heureusement que j'avais un tricot à l'intérieur, sinon je serai rentré chez moi torse nu. Ils sont donc restés avec l'habit et ce qu'ils en ont fait,  je n'en sais rien. Quoi qu'il en soit, la suite des enquêtes a démontré que c'était de la rouille, et ils ont abandonné les poursuites. Le cas du Père Engelbert Mveng est donc resté bloqué là. Certains ont accusé la Rose Croixqui avait pour responsable à l'époque Titus Edzoa, le ministre qui est en prison  aujourd'hui. D'autres ont accusé la femme donct j'ai fait mention plus haut.

Quelle est la suite donnée aux deux hypothèses ?

Nous  nous  attendions  à ce qu'on démontre publiquement que ces hypothèses étaient fausses, qu'on trouve d'autres hypothèses, mais rien, tout est  rentré dans le placard. Et là-dessus qu'est ce qui m'arrive ! J'étais toujours en poste à  Nkolkoumou et nous n'avions pas d'électricité dans  la paroisse. Un soir, j'ai vu venir une voiture d'où est descendu un monsieur  qui s'est dirigé vers moi. Il m'a dit, monsieur l'Abbé nous sommes une police parallèle, vous avez donné votre version à la police officielle qui fait son enquête, nous aussi nous faisons nos enquêtes quelle est votre version des faits. Je lui ai donné la même version que j'avais donnée auparavant. Alors il m'a dit monsieur l'Abbé, cette ville que tu vois là est dangereuse. La voiture que j'ai là dehors a cinq numéros d'immatriculation, si bien que je peux commettre quelque chose ici, on voit  bien la voiture, mais personne ne pourra plus la reconnaître. Nous causions ainsi avec la lampe tempête, puis il est reparti. Je crois, quinze mois après, un autre monsieur s'est amené et m'a dit, monsieur l'Abbé j'ai  vu le dossier du Père Mveng, il  est allé aux oubliettes parce que tout le monde a signé les yeux fermés, personne ne devait lire ce qu'il y avait dedans. Ce dossier est allé aux oubliettes exactement comme ceux de Monseigneur Yves Plumey et les autres.
Ce monsieur qui vous racontait cela était t-il un officier de police ?

Je ne sais pas, je ne lui ai jamais demandé son identité.

Mon Père, pouvez-vous nous dire comment le clergé diocésain a réagi face à cette situation ?


Le Père Mveng était Jésuite, donc il avait sa Congrégation. Je peux même dire que nous n'avions pas d'emprise directe soit sur lui ou même sur son héritage. Mais l'Eglise diocésaine avait  commis Me Mballa Mballa qui était l'avocate du Diocèse à l'époque, elle a malheureusement  lâché prise parce que disait-elle, le dossier du Père Mveng était très complexe.

Mon Père, est - il possible que les obstacles qui empêchent le déroulement normal de ces enquêtes aient une connotation politique ?

C'est extrêmement étonnant parce que  je crois, trois semaines ou quatre semaines avant son assassinat, on avait fait un congrès ici à Yaoundé intitulé " Moïse l'africain ". Et beaucoup de gens avaient pensé que l'ésotérisme Israélien était dedans. Tout le clergé de la place était interdit d'y assister. Seulement trois à quatre prêtres du clergé local ont pu assister à ce congrès qui a permis de découvrir des tas de choses. Je crois que là ou il y a une justice, la justice est faite pour nous protéger tous. Et si malheureusement elle évite d'éclaircir quelques cas, cela n'est pas juste, et on risque tout naturellement de soupçonner ceux  qui sont censés appliquer cette justice là.

Peut-on dire au vu de tous ces assassinats de religieux et de religieuses que  proclamer l'Evangile est une  mission dangereuse ?

Ce qui rend notre mission dangereuse à mon avis, c'est que dans l'Exhortation Post Synodale Ecclésia in Africa, il y a un paragraphe qui stipule que, l'Eglise doit être la voix des sans voix. Cela est extrêmement dangereux pour les gouvernants. Si, nous qui sommes garants de l'autorité morale  dénonçons une chose, cela ne peut pas manquer d'attirer l'attention lorsque les gouvernants sont concernés. Et de ce côté-là, c'est le Christ qui le dit, bienheureux quand César vous maudira. Mais  cela  n'a jamais été bienheureux quand César vous bénit. Ceci veut dire que tout le monde a peur de l'autorité, et ce n'est que nous, en tant qu'autorité morale qui pouvons essayer de réagir et dire non. Cela a coûté le martyr à beaucoup.

Gardez-vous espoir qu'on puisse découvrir un jour les mobiles de tous ces assassinats, malgré le flou qui entoure ces enquêtes ?
Je ne sais pas si je dois garder espoir, puisque je vous ai dit tout à l'heure qu'il y a un monsieur qui est venu un soir pendant que j'étais encore Curé à NkolKoumou, me dire que le dossier était déjà aux oubliettes. Cela veut dire qu'on a stoppé les enquêtes, l'affaire est classée. Ce sera peut être aux générations futures de rouvrir ce dossier, et ils pourront dire ce qu'il contenait. En tout cas,  moi je désespère pour notre génération qui ne connaîtra certainement pas la vérité sur ces assassinats.

Votre mot de fin ?


Le rôle qu'on donne à l'Eglise d'être la voix des sans voix est  extrêmement dangereux. Elle a toujours joué ce rôle dans toutes les époques.  Ce que je peux faire, c'est de demander à notre peuple chrétien de prier pour son clergé, et le clergé à son tour ne doit pas avoir peur. Je peux dire qu'à la limite, seuls les prêtres  peuvent débloquer la situation. Ce qui se passe souvent, c'est que le pouvoir religieux et le pouvoir politique s'affrontent. Et dans ce rapport de force, quand on veut acheter le pouvoir moral par
l'argent alors là, cela devient extrêmement dangereux.



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