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Publié par Delphine E. Fouda

     La déception des Camerounais vis-à-vis de Mbida a atteint son paroxysme lorsqu’il s’est mis à s’attaquer aux étudiants camerounais inscrits dans les universités françaises. En effet, six d’entre eux, Edo’o Engola Pierre, Sack Joseph, Yongui Massock Moïse, Meloné Thomas, Mouen Makoua Abel, Likoung Boum Dieudonné, tous étudiants dans la ville de Grenoble, à la suite d’une lettre qu’ils lui écrivent et dans laquelle ils déclarent qu’une guerre d’extermination sévit au Cameroun, qu’un climat de terreur est maintenu dans le pays, qu’il n’y a eu, au territoire, aucune élection valable, celle du mois de décembre 1956, d’où émane l’Assemblée Législative, ainsi que le gouvernement Mbida, est nulle, voient leur bourses d’études supprimées par un arrêté de Mbida en date du 3 juillet 1957.

     Avec les quelques fonctionnaires camerounais qui existaient, à l’époque, « l’élite » indigène de l’époque coloniale (pour reprendre une expression en vogue actuellement), Mbida entrera également en guerre, accroissant ainsi considérablement la déception qu’il suscite auprès de la population. C’est à tour de bras qu’il les sanctionne, leur inflige des blâmes, qu’il leur décerne des « affectations disciplinaires » aux quatre coins du territoire, exécutoires en 24 heures. De nombreux fonctionnaires se retrouvent, ainsi, en train de rejoindre, dare-dare, accompagnés de la gendarmerie, leurs nouveaux postes d’affectations, bien loin de Yaoundé, en l’espace d’une nuit : Yokadouma, Tignère, Mora, Pitoa, Moloundou, Campo, de peur de se voir radiés de la fonction publique.

     Bref, au début de 1958, l’impopularité d’André-Marie Mbida n’a plus de limite. La population ne sait plus du tout à quel saint se vouer. Elle avait cru qu’avec l’avè-nement du premier gouvernement dirigé par des Camerounais dans leur pays, sa condition allait changer du tout au tout. Elle découvre plutôt, pour la première fois, que, « les fesses des Noirs assis sur les têtes de leurs frères, sont infiniment plus massives et plus lourdes que les fesses des Blancs jadis »…

 

1958 – 1982 : espoirs et désillusions

sous Ahmadou Ahidjo

 

     Lorsque, le 18 février 1958, le gouvernement de Mbida est renversé, la joie est immense au Cameroun. Bien sûr, on connaît peu son remplaçant, Ahmadou Ahidjo. On sait tout juste qu’il est un fonctionnaire des PTT ayant travaillé à Bertoua, et qui est entré en politique, en qualité de lettré du Nord. Mais, ce qui compte, c’est que l’abo-minable Mbida soit parti. La joie des Camerounais est telle que, des chansons sont même composées pour fêter son limogeage. Lorsque les orchestres les interprètent dans les bars, c’est tout le monde qui les reprend, spontanément, en chœur.

     Ahmadou Ahidjo bénéficie donc, d’office, de préjugés favorables, de la part des Camerounais. Mais, bien vite, le divorce entre les Camerounais et lui va s’opérer. D’abord, il est aussi anti-patriote que son prédécesseur. Il ne met aucun bémol à la lutte contre l’Upc engagée par André-Marie Mbida. Bien plus grave, il la renforce même, demande des renforts militaires à la France. Par ce comportement, il s’aliène la sympathie des milieux progressistes camerounais.

     Ensuite, les Camerounais se rendent bien vite compte qu’il est, en tous points, opposé à Mbida, dans ses relations avec les colons. Ceux-ci retrouvent, à la faveur de sa venue au pouvoir, leur arrogance d’antan. Ils recommencent les brimades envers les Camerounais.

     Enfin, les Camerounais se rendent compte qu’il est véritablement l’otage des Français, et que toute la politique qu’il mène est téléguidée depuis Paris, via le Haut Commissaire de la République Française au Cameroun. Un fait les choque au plus haut point : son comportement une fois au courant de l’assassinat de Ruben Um Nyobè, le 13 septembre 1958, soit tout juste sept mois après son accession au pouvoir. Celui-ci survient alors qu’il est en tournée à Ntui, où il a, dans la journée, procédé à l’inauguration de la sous-préfecture de cet arrondissement. Informé vers 21 heures du décès de Ruben Um Nyobè, par la radio de commandement, il jubile, alors que l’on se serait attendu à ce qu’il demande à l’assistance d’observer une minute de silence. Il déclare plutôt :

 

« Mesdames, messieurs, j'ai une grande nouvelle à vous annoncer, le rebelle et criminel Ruben Um Nyobè, vient d'être abattu dans la forêt comme une bête sauvage, tout près de son village natal, Boumyébel. Je m'apprêtais déjà à prendre congé de vous. Mais, étant donné ma joie, je vais encore rester avec vous pendant quelque temps, pour célébrer l'événement ». 

 

     Après avoir prononcé ces paroles, il offre une tournée de champagne à l'assistance, et demande à l'orchestre d'interpréter ses meilleurs morceaux. Tout le monde s'est remis à danser. Il ne quitte la salle des fêtes qu'au petit matin.

     A toutes les personnes qui l’approchent et qui lui suggèrent d’ouvrir une véritable politique de main tendue en direction des maquisards, en sa qualité de Premier ministre du Cameroun, il oppose un refus catégorique. Il est pour l’option militaire, un point c’est tout. Le prix à payer en vies humaines sera très élevé, lui objecte-t-on. Rien n’y fit. Il s’en tient à sa politique de force. Il sait pouvoir compter sur les troupes militaires françaises installées à Koutaba pour ramener la paix au Cameroun. Donc, pas de négociation possible. La seule concession qu’il fait aux maquisards, est celle qui consiste à leur demander de quitter le maquis et de rallier son régime. Alors, il leur accordera une amnistie « la plus large possible » pour leurs « crimes ».

     Le 25 octobre 1959, il demande au Parlement les pleins pouvoirs, pour, selon la phraséologie qu’il avait développée, lutter contre la « rébellion ». Ceux-ci lui sont accordés. Erreur fatale des députés de l’époque, ce seront les premières « armes légales » du régime de terreur qu’il instaurera par la suite au Cameroun. Mais, dans l’immédiat, ce blanc-seing du Parlement en poche, il se lance dans une chasse sans précédent aux nationalistes, surpasse de loin son prédécesseur André-Marie Mbida. Il autorise même des bombardements au napalm en pays bamiléké, comme le feront, quelques années plus tard au Vietnam, les Américains. Sous son gouvernement, de très nombreux villages bamiléké sont rayés de la carte du Cameroun. Les morts, quant à eux, ne se comptent pas. Il inaugure aussi la terrible politique d’horreur qui consistera à trancher les têtes des combattants de l’Armée de Libération Nationale Kamerunaise, Alnk, autrement appelés « maquisards terroristes » par son gouvernement et les colons français, et à les exposer sur les places publiques : au marché, à la gare routière, etc.

     Au début de l’année 1959, à l’occasion du débat sur l’indépendance du Cameroun aux nations Unies, les Camerounais se rendent compte, une fois de plus, de l’alignement de leur Premier ministre sur les thèses françaises, en obligé de la France qu’il est. En effet, à New York, d’abord, il siège au sein de la délégation française. Ensuite, celle-ci lui interdit tout contact avec les nombreux pétitionnaires camerounais invités, comme lui, aux débats. Marcel Eyidi Bebey se démènera comme un beau diable pour obtenir une entrevue avec lui, en vain. Enfin, toutes ses interventions sont rédigées par ses encadreurs français, de peur qu’il ne « dérape ». Une fois les débats de l’ONU achevés, les nationalistes camerounais ne le désignent plus que sous l’appellation « laquais des Français ». Lui, il n’en a cure.

     A la fin du mois de décembre 1959, il signe les premiers « accords de coopération » avec la France, véritables traités inégaux qui hypothèquent, d’avance, l’indépendance du Cameroun qui sera célébrée quelques jours plus tard.

     Tout ceci aboutit au fait que, le 1er janvier 1960 au matin, au moment de la proclamation de l’indépendance, la joie des Camerounais est plus que mitigée, cette libération du joug colonial français, tant attendue, se présentant, pour la majorité d’entre eux, sous un visage inattendu. La fête n’est plus du tout ce qu’elle aurait dû être. Déjà, tout au long de la nuit du jeudi 31 décembre au vendredi 1er janvier, la police a organisé une rafle monumentale, à Yaoundé, et a rempli la cour du commissariat central (il se trouvait à l’époque sur le site du Premier ministère aujourd’hui) avec les centaines de personnes interpellées. Certains ne seront libérés que le 2 ou le 3 janvier, d’autres seront déférés au parquet, et gagneront la prison centrale (qui se trouvait à l’époque à l’emplacement actuel de l’école bilingue tout près de l’imprimerie nationale). Bref, l’indépendance commençait sous de bien mauvais augures.

     La suite des événements confirmera cette appréhension. Au mois de février 1960, plus précisément le 21, la toute première constitution du Cameroun indépendant, mais made in France, et imposée à Ahmadou Ahidjo, est votée par référendum. Il y a 59,80 de « oui », contre 40,20% de « non ».

     Le jeudi 5 mai 1960, le premier président de la République du Cameroun est élu sans concurrent et par la fraude, non pas au suffrage universel, comme l’attendaient les Camerounais, mais par les députés. Il fallait, coûte que coûte, tenir le peuple loin de ce processus. Le scrutin révèle, en effet, 101 bulletins de vote, alors qu’il n’y a que 99 votants, c’est-à-dire le nombre exact de députés présents dans la salle. Bref, il y a eu bourrage de l’urne. Ce sera l’inauguration d’un style d’élection qui n’a pas pris fin jusqu’aujourd’hui, au Cameroun, et qui consiste à tricher systématiquement pour faire élire qui l’on veut. Quoi qu’il en soit, ceci renforce, considérablement, la déception des Camerounais, face à cette drôle d’indépendance acquise grâce au « doigté exceptionnel » d’Ahmadou Ahidjo, c’est-à-dire « par la négociation, alors que des insensés s’entre-tuaient dans la forêt », à savoir, les nationalistes.

     Dimanche 24 avril 1960, le quartier Congo, peuplé essentiellement de Bamiléké, est incendié à Douala, par l’armée française, sous le commandement d’un certain colonel Lamberton, et un groupe d’Haoussa armés de lances, d’arcs et de flèches. Le bilan en pertes humaines est lourd. Au mois de février 1962, 52 « rebelles » sont embarqués dans un wagon à Douala, à destination de Yaoundé. Le wagon est soudé au chalumeau, pour s’assurer que personne ne pourra s’échapper pendant le trajet. A l’arrivée, il n’y a aucun survivant. Au mois de mars 1962, Ahmadou Ahidjo signe la terrible ordonnance portant répression de la subversion. A la faveur de celle-ci, le Cameroun, tout juste deux années seulement après sa sortie du joug colonial, se transforme de nouveau en une vaste prison, comme sous le règne des colons, où un seul individu a droit à la parole, droit de penser, droit d’aller et venir : le président de la République.

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