Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Jean-Marc Soboth

soboth2Le jeune Bédouin du désert qui, à 27 ans, renversa la monarchie pro-occidentale d’Idriss 1er en Libye à la tête d’un groupe de jeunes officiers a sans doute commis d’innombrables erreurs de jeunesse dans son parcours. Il a établi un système n’offrant aucune perspective d’alternance au pouvoir à l’Européenne; et, mu par une politique résolument antioccidentale, il a offert entre autres son soutien à de nombreux « dictateurs » dont l’Ougandais Idi Amin Dada; il en est d’ailleurs de même de son implication supposée dans certaines activités terroristes en réaction aux attentats quasi officiels dont il fut lui-même la cible de la part des États-Unis, de l’OTAN...

L’ancien chantre du panarabisme a surtout eu tort de ressusciter, mobiliser et financer le projet très interdit d’une vraie Union Africaine, notamment l’étape unitaire ultime prévue dans les textes fondateurs mais dont le processus dormait de son profond sommeil dans les tiroirs à Addis-Abeba; activité internationalement prohibée sur laquelle les Africains eux-mêmes veillent à ce qu’elle ne se produise jamais!

Il a installé son clan au pouvoir dès septembre 1969 tandis qu’il inspira, avec des intellectuels libyens, un concept étatique populaire, la Jamahiriya arabe, modèle particulier de socialisme culturel qui, aujourd’hui, a un bilan social et infrastructurel notable, plus élogieux en tout cas que tous les plus grands producteurs africains de brut.

En « nationalisant » les ressources pétrolières libyennes à l’opposée des pays ou les royalties des hydrocarbures vont aux multinationales parfois contre le sang des riverains, cet ancien activiste politique de l’académie militaire de Benghazi et du British Army Staff College de Camberley a complètement transformé le visage de l’ancienne monarchie indigente d’Afrique du Nord.

 

4ème producteur de pétrole

La Libye, seulement 4ème producteur de pétrole d’Afrique, est devenue sous Kadhafi, en quelques décennies, l’un des pays les plus prospères du Continent. Les Libyens se plaisent chez eux. Il est loisible de constater qu’ils ne sont pas éparpillés à travers le Monde à mendier la « naturalisation », comme ceux des pays en guerre ou issus de présidentialismes verrouillés, en descente aux enfers d’Afrique.

Nonobstant le bilan de son système, Mouammar Kadhafi a été peint, de manière unanime, constante et quasi systématique par les médias occidentaux comme l’idiot et le rigolo de l’Afrique à côté de brillants « démocrates » intelligents qui, de pères en fils, depuis les « indépendances », ont impunément pillé leurs pays avec l’aide de multinationales occidentales, galvanisés d’éloges de l’Occident.

On le savait donc déjà à travers les médias: « le Guide » libyen, « violeur », est un fou, un clown incapable de l’intelligence la plus basique…

Mais les jeunes générations ne vont jamais oublier ce Bédouin audacieux.

À la suite des Pères fondateurs d’une seule Afrique, puissance politique et économique sur l’échiquier planétaire, il a tout fait, à sa manière, pour montrer à ses homologues, séculairement obtus et traîtres, l’urgence d’un espace unique sur le Continent; convaincu par des intellectuels Africains en son temps, il souhaitait que l’Organisation panafricaine ne se résume pas en un simple syndicat de petits roitelets arrivistes à la solde de permanents du très exclusif Conseil de sécurité de l’Onu ― d'aucuns le jugèrent pas assez sombre de peau pour mener ce projet qu'on préférait moribon…

Mais en quelques années, il a compris. Rien à faire peut-être avec ces Africains, en l’occurrence francophones, ouailles de l’Élysée. De temps à autres mendiants de subsides à Tripoli, ils sont surtout rigoureux fossoyeurs de l’Afrique au profit d’anciens colons esclavagistes. Il a aussi compris l’opinion occidentale.

Après d’énormes investissements en Europe, il s’est publiquement repenti et a indemnisé les familles des victimes de l’attentat de Lockerbie (1988) ― les millions de morts de la traite négrière feront-ils, eux, l’objet de repenti et d’indemnisation un jour?

« Le Guide » s’est moins focalisé, dorénavant, sur le panafricanisme et s’est mis à faire miroiter les pétrodollars à tout-va : au VRP Nicolas Sarkozy, il a promis l’acquisition d’appareils de guerre français, allant jusqu’à offrir l’implication de son pays, à l’instar de pairs francophones subsahariens précédemment, dans la coopération transfrontalière contre l’immigration clandestine à destination de l’Europe.

Il avait notamment compris qu’il était interdit de rendre au coup-sur-coup les assauts des Grands de ce Monde. Une attaque américaine ciblée qui a tué sa fille ne compte pas, et ne figure dans aucun compteur criminel occidental.

Du coup, le « fou » avait commencé à paraître à la Une des grands magazines bling-bling. Mais les événements récents apportent un éclairage supplémentaire, qui est multiséculaire : les Grands ne changent jamais d’avis, même s’ils en donnent l’impression ― on l’a expérimenté à Abidjan; les Grands sont opiniâtres, à sens unique... 

 

Impardonnable

Le combattant "fou" du désert fut d’autant impardonnable qu’il s’était permis une infamie : oser obtenir de l’Italie des excuses officielles pour la colonisation de la Libye, au moment même ou des « Intellectuels » africains applaudissaient à Paris l’idée d’un projet de loi visant à célébrer la même colonisation.

Il obtint de surcroît de Rome une indemnisation pour la… colonisation. Trop c’est trop!

Dans un autre brouhaha typique, des « Intellectuels » africains stigmatisaient pourtant toute évocation de l'esclavage ou d’indemnisation ― qualifiés de passéisme ringard ―, en sus des autres exactions européennes. Le Bédouin « rigolo » et "fou" du désert avait osé insister, lui, sur l’obligation du Monde moderne de payer ce lourd tribut à l’Afrique nègre; sur l’urgence de vider le contentieux juridique du crime de la traite négrière transformé à Durban (en 2001) en simple journée de bavardages entre petits copains à l’Unesco, à la gloire des "abolitionnistes".

Aujourd’hui, face à des milliers de manifestants « spontanés » lourdement armés (!), qui ont pris d’assaut la Jamahiriya ― avec le soutien d’un Occident qui, paradoxalement, voue une véritable adoration parallèle à la « démocratie » chinoise ―, le Bédouin a promis qu’il mourra en martyr. Son fils Seif el-Islam a dit à cet effet une lapalissade : si cela se fera, ce sera dans un bain de sang historique dont chacun appréciera l’opportunité, quitte à servir désormais de modus operandi officiel partout ou le système politique s’avèrera techniquement verrouillé, même sous des dehors de démocratie.

Il n’aurait peut-être pas dû réagir, pense-t-on, face à une opposition « démocratique » armée jusqu’aux dents qui s’offre depuis lors le pays par morceaux.

D’autant qu’à l’unisson et incapable d’analyse alternative, l’opinion africaine s’associe, pieds et mains liés, aux appels dont l’unique dessein semble être l’alternance au pouvoir à Tripoli; une alternance dont nul ne peut présager des lendemains, à part qu’ « On ne veut plus de Kadhafi! »; et que les gisements de pétrole retourneront en presque propriété aux multinationales occidentales.

Kadhafi va sans doute passer, en son temps ― d’autant que l’Occident ex-esclavagiste a changé de visage : ne se contentant plus de distribuer des bons et des mauvais points, il a créé ses propres instruments répressifs, des instances pénales pour punir ceux qui s’écartent du diktat unilatéraliste!

 

En toute hypocrisie

Mais Kadhafi aura marqué son temps sur les enjeux les plus cruciaux du Continent : le vrai panafricanisme, unique option d’avenir pour le Continent s'il veut se libérer et être respecté; la colonisation; la traite négrière... Ce, contrairement à un Hosni Moubarak, un Zine Abidine Ben Ali ou autres potentats dont ceux qui ont organisé une succession dynastique au pouvoir sous les applaudissements de l’Occident.

Le Bédouin "fou", admirateur du panafricaniste Gamal Abdel Nasser aura été le seul homme d'État africain à avoir osé booster, à l'ère des "meilleurs élèves de l'Élysée", le projet unificateur d’un Continent dont les frontières ont été faites en son absence à Berlin, et qui aurait pu cesser, en y réfléchissant collectivement, de s’assujettir à la communauté financière internationale (notamment au « Fonds de Misère Instantané », FMI, dixit Joseph Tchundjang Pouemi) et aux puissances coloniales.

Aujourd’hui, l’Afrique noire célèbre en toute hypocrisie Thomas Sankara, Kwame Nkrumah, Cheik Anta Diop… On a oublié que de leur vivant, ils furent vilipendés ou traités de dictateurs de pacotille; ils furent souvent considérés par les mêmes médias comme des fous, des rigolos, des marginaux aux idées rétrogrades…

De la même manière, la Libye tombera peut-être entre les mains de pions de l’Occident ou d’Islamistes. Mais, au Continent de la mémoire courte et de la bêtise, on regrettera assurément l’audacieux Bédouin « fou » du désert qui a modernisé le pays en défiant l’Occident comme personne ne l’a jamais fait.

Souvenons-nous en. Célébré à Paris, Léopold Sédar Senghor a été désigné dans la très sélecte l’académie française. Ce fut une récompense. Il avait, entre autres, longtemps muselé et marginalisé le plus grand érudit africain de tous les temps : Cheik Anta Diop. Célébré à Paris, Félix Houphouët-Boigny a quant à lui bâti sa réputation sur son activité de fossoyeur du projet panafricain en vue de protéger le cannibalisme français en Afrique… Ces exemples corroborent une pensée du Camerounais Anicet Ekanè : chaque fois que l’Occident célèbre un Africain, c’est toujours quelqu’un qui n’est pas bon pour l’Afrique! Et vice-versa.

Le Vénézuélien Hugo Chavez, qui a écrit un ouvrage célèbre sur les méandres de ce rapport de force machiavélique en sait très long, lui qui, contre vents et marées, a nationalisé comme Kadhafi les ressources pétrolières de son pays au point d’en faire un État riche. C’est ce qui explique sans doute son soutien au « Guide » libyen.

On se souviendra indubitablement de Kadhafi, ce Bédouin « fou » qui aurait pu se contenter de se taire, et de pratiquer la gloutonnerie sur les richesses pétrolières de son pays.

 

Jean-Marc Soboth

 

 

 

 

<Photo 1>

 

 

 

  

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :