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Publié par Delphine E. Fouda

         Ndzana Seme, New York 07/06/2008, africanindependent.com Un adage de chez nous dit qu’il ne faut pas chercher là où l’on est tombé mais plutôt là où l’on a trébuché. En avril 1907 Charles Atangana fit arrêter et exécuter des vieux notables Beti restés jaloux de leur religion et de leur culture, en les accusant de complot anti-allemand. L’église catholique coloniale ne cherchait pas une harmonieuse cohabitation entre les religions locales et le christianisme, mais plutôt la domination du christianisme et la disparition de toute autre forme de religion. Notre propre père, l’un des derniers initiés du So, seconda pour le reste de sa vie Martin Abega Belinga dans cette œuvre de trahison de notre communauté, participant ainsi à la perpétration d’un péché historique qui aujourd’hui nous ravage. A travers la chute actuelle de notre pays, le châtiment de nos Ancêtres et du Dieu tout puissant à notre endroit ne l’est-il pas parce que nous sommes des descendants de traîtres, ceux-là qui avaient abandonné le combat indispensable qu’était la défense de nos religions et de nos cultures contre l’oppresseur colonial ?
« Les conséquences de la défense du rite So sont les suivantes :
1. Exciter les hommes à rester dans la sauvagerie
2. Troubler les travaux publics et empêcher les enfants d’aller à l’école quand ils n’étaient pas encore initiés à ce rite
3. Exciter les indigènes au fanatisme, à l’indiscipline et à la superstition
4. Causer des victimes de diverses infirmités. »


Ce texte, qui figure dans
Atangana 1942, p.147, fut écrit en réalité par Henri Essomba Ndongo, le « frère » de Charles Atangana alors considéré comme l’intellectuel de la famille. Il est tiré d’un article publié par le bénédictin suisse-allemand, R. P. Meile, dans la revue Anthropos.

Ni l’auteur ni le publicateur ne connaissant vraiment pas le français, l’Ewondo traduit mot à mot ci-dessus pourrait se décrypter comme
« Le rite So a été défendu parce qu’il entraînait les conséquences suivantes : ». Le deuxième point pourrait se traduire par « empêcher ceux des enfants qui n’étaient pas encore initiés à ce rite d’aller à l’école (occidentale) »
.

En clair, Charles Atangana et son entourage considéraient, en parfait accord avec leurs maîtres coloniaux occupants allemands, que la religion et la culture des Beti n’étaient que sauvagerie, fanatisme, indiscipline, superstition et tout ce qu’il y a de négatif. Pour eux, il n’y avait que le christianisme et l’école occidentale comme solution pour sortir de tels « indigènes » de ce qu’ils qualifiaient d’obscurantisme.

L’hymne national du Cameroun, dans l’une de ses tirades propres aux colonisés résignés, nous faisait en effet chanter :
« Ô Cameroun berceau de nos ancêtres, autrefois tu vécus dans la barbarie… peu à peu tu sors de ta sauvagerie… ».


Les auteurs d’une telle chanson étaient des « indigènes » formés sur les traces de Charles Atangana et ses élites occidentalistes, sous la supervision de l’occupant colonial, dont l’église catholique peaufina le texte adopté en 1960. Des paroles aussi dégradantes étaient tout simplement normales pour les élites occidentalistes, dont notamment André Marie Mbida et son gouvernement et Ahmadou Ahidjo et son entourage, qui ne pensèrent à modifier de telles paroles de l’hymne qu’en 1978.

La violente interdiction des rituels du So


Pour aboutir au succès de l’interdiction de la religion et de la culture des Beti, un péché indicible et hautement lourd de malédiction pour toute la communauté – une malédiction qui fait aujourd’hui des ravages insoutenables au sein de ceux qui étaient autrefois connus comme des « Nobles » –, Charles Atangana et sa clique des serviteurs aveugles de l’occupant colonial brisèrent des interdits ancestraux les moins pardonnables.

En effet, en avril 1907 Charles Atangana, l’orphelin qui autrefois fut confié aux occupants blancs, fut formé comme marmiton et interprète des colons allemands et fut un jour nommé par l’ennemi occupant comme chef supérieur des Beti et des Bane, fit arrêter et exécuter des vieux notables Beti restés jaloux de leur religion et de leur culture, en les accusant de complot anti-allemand. Il fit ainsi tuer de tels patriarches et prêtres traditionnels qui autrefois présidaient à la perpétuation des traditions religieuses et culturelles Beti.

Pourtant le rite So était à tout point, dans ses différentes étapes, similaire à la passion biblique de Jésus Christ, son exécution et sa résurrection. C’est d’ailleurs parce que la théologie catholique de la fin du 19ème siècle reposait sur la passion du Christ que les Beti s’étaient facilement laissés convertir. Ils trouvaient en effet une similitude étrange entre le sort mortel de Jésus Christ et sa résurrection avec la philosophie au centre du rite religieux du So, comme nous l’expliquerons dans un prochain article. C’est ce qui poussa les anciens initiés Beti à autoriser la christianisation des leurs.

Malheureusement, l’église catholique coloniale ne cherchait pas une harmonieuse cohabitation entre la religion locale et le christianisme, mais plutôt la domination du christianisme et la disparition de toute autre forme de religion.

Tout commença en effet quelques semaines seulement après la fondation de la mission catholique de Mvolié, lors de la fête de Pacques de 1901. Le conflit éclata et rebondit les années suivantes parce que, pour faire plaisir aux Sœurs et montrer qu’ils ont compris leur religion, les candidats initiés du So jetèrent une grêle de pierres sur leur maison à la veille de la Noël 1903, comme il était de coutume sur la maison de l’organisateur à la veille du So. Un tel geste enragea plutôt l’église catholique. Ces événements furent retracés par Philippe Laburthe-Tolra dans
Initiations et sociétés secrètes au Cameroun, lui-même citant Nekes, SVA 1905, pp. 108 et 184.

Par la suite, à la Pentecôte de 1904, le père catholique P. Hoegn se décida d’aller récupérer quelques écoliers enrôlés dans le So. Il se fit guider sur les lieux strictement interdits de la cérémonie d’initiation par Jean Tsungui Akoa, un fidèle catholique de la première génération, ami de Charles Atangana et non initié comme ce dernier. C’était alors violer les secrets de l’initiation, un bris d’interdit qui était puni de mort. L’un des assistants à l’initiation, son propre frère Essomba Akoa, se jeta sur Tsungui comme pour le tuer, et lui coupa deux doigts d’un coup de machette.

Les pères catholiques de Mvolié profitèrent de l’incident pour faire interdire les rites So par l’administration coloniale. Celle-ci n’adopta cependant pas de texte particulier pour interdire le So, dès lors que bon nombre de colons étaient eux-mêmes curieux ou admiratifs de la religion Beti. Elle encouragea plutôt les chefs de poste à utiliser leurs pouvoirs discrétionnaires pour l’interdire. C’est ainsi qu’entre autres, un impôt de 4 moutons par fête du So fut institué par les administrateurs de Yaoundé afin de décourager l’initiation.

Surtout, l’une des armes les plus fatales contre le So fut déployée par la mission catholique. Parce que les premiers fidèles de l’église catholique étaient des femmes, des non initiés et des travailleurs divers logeant chez les initiés ou vivant sous l’autorité de ces derniers, tous constituant une classe de personnes incapables d’atteindre le statut social des initiés, les prêtres catholiques attaquèrent le So en plein dans son cœur, autant géographiquement que sociologiquement, en trahissant tout simplement les secrets qui formaient le ciment des hommes adultes vis-à-vis des profanes. Ils racontèrent à de tels profanes les secrets du So qui leur étaient confiés lors de la confession de certains initiés convertis au christianisme.

Notre propre père participa à la perpétration du péché historique


Mais par l’usage de la terreur et de la violence, une personne en finit définitivement avec la religion Beti et son rite So. C’est Charles Atangana Ntsama, qui déploya une persécution sans pareille contre les initiés qui voulaient perpétuer les traditions.

Notre propre géniteur, Seme Nsegue fils du mvog fuda Seme Azoa et de la bane Nsegue Manga, était un initié qui un jour rossa un  policier allemand pour avoir commis l’offense de se montrer irrespectueux à son endroit. Son village et tous ses biens furent incendiés sur ordre du chef de poste allemand.

Seme Nsegue souffrit un exil loin de ses femmes, dépendants et biens pendant plusieurs années… à Efoulan. Et ne fut rétabli dans son village Ebolboum que lorsqu’il accepta le titre de chef de village, qui est l’un de ces postes de percepteurs d’impôts que Charles Atangana institua pour soumettre les populations à l’occupant colonial.

Notre père seconda pour le reste de sa vie Martin Abega Belinga de Nkongzok à Ngoumou dans cette œuvre de trahison de notre nation, en acceptant ainsi non seulement sa propre défaite mais aussi celle de sa communauté. Il se raconte qu’il prit un grand plaisir à se vêtir de l’apparat colonial composé d’un costume blanc, des chaussures noires toutes brillantes et d’un casque blanc, acceptant ainsi peu à peu son assimilation à la culture occidentale.

Seme Nsegue, comme les autres chefs de Charles Atangana, aurait surtout pris plaisir à terroriser ses frères et dépendants, s’enfermant ainsi dans le piège de son maître colonial qui le menaçait personnellement d’arrestation et de bastonnade au cas où échoue à collecter les impôts. Ceci malgré son obstination jusqu’à sa mort en 1958 à refuser de rejoindre l’église catholique.

Jusqu’à ce jour, nous souffrons encore des remords à cause des violences que nous avions contribué à infliger à un Aîné de notre famille, feu notre grand neveu Ndzana Ndengue. Parce qu’il n’avait pas payé l’impôt et que notre frère aîné de chef colonial successeur Fouda Seme risquait de perdre sa paie de collecteur d’impôts, l’adolescent que nous étions s’était joint à mes grands frères pour grossièrement jouer le rôle des policiers de la chefferie, en allant arrêter le doyen Ndzana Ndengue, le ligoter et le traîner sur des kilomètres vers la gendarmerie de Nkongzok, sans toutefois daigner lui épargner des coups lorsqu’il cherchait à plaider.

Nous avions ainsi participé activement à la commission de l’un des péchés les plus graves que nos ancêtres ainsi que l’Ancêtre des ancêtres Zambá puissent pardonner. Nous avons depuis lors adressé toutes les prières chrétiennes possibles et demandé mille fois le pardon de Dieu, mais la persistance du sentiment profond de ce péché est la preuve qu’il n’est pas pardonné. Les anciens rituels Beti, aujourd’hui disparus, savaient pourtant laver efficacement tout individu qui confesse d’un tel péché.

Tout comme la chefferie de Charles Atangana, aujourd’hui tombée en désuétude après la mort de son successeur Martin Abega Belinga et que sa fille Marie-Thérèse Assiga Ahanda cherche désespérément à ressusciter, la chefferie de Seme Nsegue n’est aujourd’hui réduite qu’à une case délabrée entourée, comme tout village Beti, d’un océan de pauvreté.

Faut-il y voir le châtiment de nos Ancêtres et du Dieu tout puissant Ntondobe à notre endroit en tant que descendants des traîtres, ceux-là qui avaient abandonné le combat indispensable qu’était la défense de la religion et de la culture Beti, notamment leurs rituels salvateurs du So, du Mevunga et des autres, contre l’oppresseur colonial ? Nous croyons profondément que tel est le cas.

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