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Publié par Delphine E. Fouda

                   Charlotte Wiedemann DIE ZEIT, 17.04.2008  et publié par le jour du 29 /05/2008 : Dans un rapport accablant, paru dans le journal allemand Die Zeit, l’Allemagne épingle le Cameroun .

PREMIÈRE PARTIE
Le Cameroun aurait pu être un pays de bonheur, puisqu’il est riche en ressources naturelles et ses hommes sont instruits. 

Pourtant, ce pays africain est en train de pourrir, encore qu’il fait partie des pays les plus corrompus du monde. Voici un exemple palpitant de la puissance de l’avidité et de la gloutonnerie.
D’abord, voici à quoi ressemblent les campagnes électorales au Cameroun: Les candidats distribuent des enveloppes pleines d’argent et les électeurs se battent entre eux pour en saisir quelques unes. (Images d’archives de juillet 2007) © VAN DER BELEN/AFP/Getty Images.
Seulement voilà: Il est placé là, l’homme avec des billets de banque en mains. Il est placé devant le policier détenant la barrette rouge qui, d’un signe de la tête, l’envoie vers un collègue, puis le renvoie, toujours d’un signe de la tête, vers un autre, et ainsi, notre homme aux billets de banque court çà et là, donnant à son attitude une dévotion toujours plus croissante, un solliciteur qui, lui aussi, demande à être corrompu.
Passons! Maintenant, ce qui suit est une pièce de théâtre, une misérable pièce de théâtre que l’on joue des centaines de fois par jour sur les routes du Cameroun. C’est le contrôle de la carte d’identité! Un poste de police stoppe un Minibus, plein de passagers, et il arrive que l’un des passagers n’ait pas sa carte d’identité en poche. On lui brandit alors une contravention qui relève d’un conte de fées, et le malheureux a à choisir entre celle-ci et son arrestation. Dans ce cas, remettre à la police un petit billet de banque devient la seule issue. Le blocage des routes (appelé péage), les contrôles des cartes d’identité, tout cela ne vise qu’un seul but, et chacun le sait. Les policiers font des manières, négocient, quémandent, mendient et menacent encore un peu. Les autres passagers du Minibus attendent longuement en gardant une distance respectable.
Lorsque le billet de banque a disparu dans la poche du pantalon de couleur vert olive et les passagers se sont de nouveau empiffrés dans le bus, il jaillit alors parmi eux un grand soulagement. Ainsi, il arrive très souvent qu’un même bus soit stoppé trois à quatre fois en une heure par des postes de police. Parfois, lorsque les négociations durent trop longtemps, la solidarité qui, jusque-là, était tacite chez les passagers, s’éclate. Certains déclarent alors vouloir continuer le voyage et commencent à se disputer avec le chauffeur. Finalement, tous se mettent à s’engueuler. Mais personne ne s’adresse au policier qui en est la véritable cause.
La corruption a crée au Cameroun ses us, ses coutumes et ses rites. Elle détermine les sentiments et la psychologie de tout le pays. Ce que les étrangers ressentent comme un pur théâtre, ce ne sont en réalité que des règles, des règles de comportement qui ajustent le quotidien et aident à surmonter la honte et la pudeur. Car, les Camerounais – 17 millions d’âmes avec un très grand niveau d’instruction – sont très bien conscients de l’état catastrophique de leur pays.
D’après le baromètre de la corruption présenté par Transparency International, la police camerounaise se range très loin au sommet, comme la plus corrompue de toute l’Afrique. Ce résultat repose sur la prise en charge des victimes du système, et l’enquête se fait à partir du sondage des citoyens. Un deuxième indice élève le Cameroun au premier rang: près de 80% de la population admet avoir corrompu un agent de l’État ou un fonctionnaire. On n’a jamais vu, dans aucun autre pays du monde, autant de monde s’accuser mutuellement. La corruption est devenue un «style de vie». Cette expression est contenue dans une lettre pastorale plaintive du clergé camerounais écrite en 2006.
À l’hôpital, pas de corruption, pas de lit
Chez Madame et Monsieur Zubou, il y a de petits morceaux de couverture blanche sur le canapé. Le sol est tapissé. C’est l’appartement d’une famille moyenne en banlieue de Yaoundé, la capitale. Le couple est propriétaire d’une papeterie. Monsieur Zubou, un petit homme mince au regard perçant, pèse ses mots: -«La grande majorité des Camerounais est-elle victime ou actrice de la corruption?» -«Probablement les deux», dit-il finalement.
Sa papeterie prospère grâce à la corruption sur la base de très grandes réquisitions venant des ministères. De façon arbitraire, les agents d’impôts ont élevé récemment la papeterie au rang de moyenne entreprise. Pour la ramener au rang de petite entreprise, ils avaient besoin d’une «motivation», le mot de code courant. «À l’hôpital, pas de corruption, pas de lit», se plaint Madame Zubou, «même pas en cas d’urgence!» «Son père est mort», renchérit Monsieur Zubou, «et même à la morgue, il faut corrompre! Sinon ils jettent le mort au sol ou ils volent sa chemise. Ou encore ils ne remettent même pas le corps pour l’enterrement.»
La corruption, c’est un abus de pouvoir à des fins personnelles. Telle est sa définition la plus brève. Au Cameroun, une maladie en est sortie et a attaqué tous les membres du corps social. Certes, la corruption n’est pas une «maladie africaine» comme on l’entendait autrefois. La société allemande a connu entre-temps, elle aussi, sa propre fébrilité. L’avidité et la vénalité sont des maux universels. Mais il existe des causes africaines qui amplifient l’étendue de la corruption et, au Cameroun, on peut en toucher quelques unes des doigts. Ce sont, sur le plan politique, le manque de démocratie et l’absence totale de responsabilité se caractérisant par le refus de rendre compte; sur le plan culturel, l’érosion des valeurs traditionnelles, de toute éthique endogène. L’Allemagne, la France et la Grande Bretagne ont, comme puissances colonisatrices, laissé au Cameroun les traces d’un étrange destin.
«Nous sommes un pays qui étouffe et qui, depuis 25 ans, meurt à petit feu», écrit le journal Le Messager dans un message de vœux empoisonné à l’occasion de l’anniversaire du président Paul Biya, âgé de 75 ans, et depuis un quart de siècle au pouvoir. C’est un petit homme trapu avec une voix enrouée. Il peint ses cheveux en noir et quand il se regarde dans le miroir, il se prend pour l’avenir du Cameroun. En 2011, avec 78 ans, il veut une fois de plus se présenter comme candidat à la présidence, c’est pourquoi il s’empresse à réviser la constitution. Que celle-ci limite le nombre de mandats à deux, c’était déjà le fruit d’une démocratisation apaisée arrachée à Biya dans les années 90.
Au fil des ans, il a échafaudé, au moyen de la corruption, de la répression et de la manipulation des urnes, un puissant appareil de pouvoir difficilement démontable. Bien qu’impopulaire au sein du peuple, le président peut se sentir si assuré qu’il passe la plus grande partie de l’année à l’Hôtel Intercontinental de Genève. «Là-bas, je peux mieux travailler», dit Biya. Un pays, qui s’étouffe tout doucement, ne fait pas trop de bruits. Le Cameroun est un facteur de stabilité dans la région. Les Etats-Unis d’Amérique viennent de construire à Yaoundé une puissante ambassade à partir d’où ils tiennent à l’œil la production pétrolière de l’Afrique centrale. La Chine construit, quant à elle, un palais des sports, tout un cadeau qu’elle offre au Cameroun pour faire les affaires. Et la France tend la main au très fidèle Biya. Pendant ce temps, le simple citoyen et la citoyenne  doublement victime  sont exposés, au bas de l’étage social, à la corruption du plus petit fonctionnaire et, à l’étage supérieur, aux  grands agents de l’État et aux ministres qui se servent dans le budget de la nation.
 
DEUXIEME PARTIE
Les salaires dans les services publics sont très bas, et cela favorise la corruption. Pendant les quinze dernières années, les fonctionnaires de l’État se sont correctement appauvris. D’abord, leurs revenus avaient été réduits de plus de la moitié sous la pression du Fonds Monétaire International. Ensuite, ils avaient perdu plus de la moitié de leur pouvoir d’achat en raison de la dévaluation du franc CFA. Depuis lors, plusieurs douaniers, juges et enseignants se sentent moralement en droit de se faire dédommager auprès de tout concitoyen maniable. Un jeune taximan décrit le comportement d’un policier comme suit: «Lorsque tout est en ordre dans mes papiers, alors il m’engueule. ‹Et puis quoi? Qu’est ce que je vais manger?! Je lui donne alors de l’argent, car si je ne le fais pas, il va se venger et me préparer plein de malheurs»
L’enseignant ne corrige pas les cahiers sans donation financière
Afin que le citoyen puisse, dans la mesure du possible, payer cet argent sale qui permet d’accélérer les choses, la bureaucratie a développé des mécanismes relevant du monde de Kafka. Pour réclamer le paiement d’une facture ou d’un dû, on peut vous demander jusqu’à 58 dossiers administratifs. Et lorsque l’on réussit à donner la «motivation», on peut se considérer heureux. Plusieurs fonctionnaires n’apparaissent au lieu de service que quelques heures par jour. Dans une pâtisserie à proximité de l’université, les étudiants discutent des «tarifs». Chacune des facultés, qui a un accès aux carrières les plus convoitées, a un «tarif». À l’ENAM, l’École Nationale de Magistrature, le «tarif» est présentement de 3,5 millions de francs CFA, l’équivalent de 5335 Euros. Quiconque veut participer avec succès au concours, met cette somme dans une enveloppe et la transmet à un intermédiaire. Pour les 300 places disponibles, on évalue à 15.000 le nombre de candidats. Mais seules les familles de classe supérieure peuvent financer cette corruption, et ainsi, le régime recrute ses rejetons dans son propre cercle. Ceux qui ne paient pas constituent, d’après les hypothèses des étudiants, 10% des candidats qui ont réussi par leurs propres efforts.
Larissa, âgée de 20 ans, étudie la biologie. Elle se sent mal notée. «Quand je suis allée voir mon professeur, il m’a dit: ‹Tja, tu peux donc dormir avec moi›.» Mais elle ne l’a pas fait. Même la très déterminée Gertrude, qui a une formation en hôtellerie, ne fait pas l’amour avec ceux qui distribuent les jobs, – et c’est pourquoi elle n’en a aucun. Le refus est possible, mais il a son prix.
La jeunesse camerounaise grandit dans un monde où chaque règle de jeu peut être entourloupée à tout moment. Déjà, les tout petits apprennent que l’on doit payer une donation aux enseignants «Quand je ne donne rien à l’enseignant, il ne corrige pas les cahiers», révèle désespérément Jean Nze, père de quatre enfants. «Il ne regarde même pas mon enfant une seule fois en classe!» Monsieur Nze, un fervent chrétien, entretient sa maison grâce à un restaurant et à la vente des Bibles. Intérieurement, il est écoeuré par la corruption, mais ne peut s’en défaire: «Nous, Africains, avions une culture du partage, la culture de la solidarité. Aujourd’hui, chacun s’agrippe à la sienne propre
Tous ceux qui se rebellent contre l’état lamentable du pays parlent d’une nouvelle méditation sur les valeurs traditionnelles – ils sont cependant une minorité. Même à leurs yeux, lutter contre la corruption partout où tout pouvoir a émergé grâce à elle, est un devoir à peine surmontable.
Plusieurs Camerounais donnent l’impression d’observer, avec fatalité et indifférence, leur pays à travers une vitre. En même temps, les plaintes contre la corruption sont devenues la culture populaire. Dans une radio privée, un comédien rappe: «La police est katakata, son comportement est laid, katakata!» Les auditeurs ricanent et se balancent en cadence les uns sur les autres. De son côté, le musicien Lapiro de Mbanga chante: « Ministres, Directeurs, envoyez-les tous à Kondengui!» Kondengui est la prison la plus connue du pays.
Le gouvernement camerounais ne parvient plus à nier, comme par le passé, l’étendue de la corruption. D’après les estimations officielles, les pertes dues à la corruption se chiffrent à près de 50% des revenus publics. Entre 1997 et 2004, elles se chiffraient à 3 milliards d’Euros, ce qui n’était vraisemblablement qu’une infime partie de la somme. Avec cet argent, le pays aurait pu construire dix mille écoles!
Ce n’est que très rarement que s’ouvre le rideau derrière lequel se cachent les grands coupables, à l’exemple de Gérard Ondo Ndong, Directeur général du Fonds Spécial d’Équipement et d’Intervention Intercommunale, le Feicom, qui est un fonds des conseils communaux, ces communes qui attendent nostalgiquement d’asphalter un morceau de route. Ondo Ndong et ses complices ont réussi à mettre, à eux seuls, 10 millions d’euros de côté, en feignant de faire des voyages d’affaires et en prétendant expliquer aux conseils communaux comment ceux-ci pourront solliciter des fonds. En 2007, le directeur général, Ondo Ndong, fut condamné à 50 ans de prison. Cette sentence paraît spectaculaire, pourtant le verdict n’a déclenché dans la caste des coupables qu’une inquiétude incroyablement mineure. Ondo Ndong n’était-il pas simplement un bouc émissaire dont le sacrifice visait à impressionner la communauté internationale?
Le Cameroun compte parmi ces pays pauvres très endettés dont on annule la dette lorsque le gouvernement se sent obligé de lutter contre la pauvreté et d’aspirer à la bonne gouvernance. Cela crée une certaine pression de l’extérieur. Effectivement, il y a trois ans, le premier ministre Ephraim Inoni avait, au début de son entrée en fonction, fait des visites surprises dans les services, congédié les suspects et saisi les limousines de luxe. Avec cette volonté d’action, il s’est retrouvé très vite isolé entre un président de la république indifférent et une fraction de cabinet composée de 43 ministres gloutons.
Dans d’autres pays africains, les gouvernements ont fait de la lutte contre la corruption une priorité. Il n’y a pas longtemps que, dans un document riche en symboles, le Nigeria, grand voisin du Cameroun, est allé jusqu’à geler, dans un document riche en symboles, les contrats avec Siemens en raison de la persistance de la pratique de la corruption dans cette entreprise. De son côté, le gouvernement camerounais ne se comporte que de façon tactique vis-à-vis du fléau du pays, sans passion aucune.

La suite dans notre édition de demain

Texte paru dans  DIE ZEIT, 17.04.2008 Nr. 17Traduit de l’allemand par Dr. Maurice NGUEPE, directeur de l’Institut d’Études Africaines au Québec. Écrivain, germaniste et anthropologue, il milite politiquement comme SG de l’organisation Jeunesse Africaine
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